Tageblatt, Luxembourg
7 Mai 2004
Moscou perd un levier d’influence dans le Caucase avec le départ
d’Abachidzé
Les autorités géorgiennes se sont félicitées jeudi du rôle qu’a joué
la Russie dans la démission pacifique du chef adjar Aslan Abachidzé,
qui était le meilleur allié de Moscou en Géorgie, et dont le départ
retire au Kremlin un puissant levier d’influence dans les affaires de
cette république du Caucase.
»La Russie nous a accordé une aide importante», s’est félicité jeudi
à Moscou le chef de la diplomatie géorgienne Salomé Zourabichvili,
après un entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov.
Ce dernier s’est affirmé »tout à fait satisfait que la situation en
Adjarie ait été réglée d’une manière pacifique et qu’on ait réussi à
éviter une effusion de sang, ce sur quoi avait toujours insisté la
partie russe».
Dans un scénario similaire à celui ayant vu le départ en novembre
dernier du président géorgien Edouard Chevardnadzé, sous la pression
de la rue, le chef de la république autonome géorgienne d’Adjarie,
Aslan Abachidzé, a abandonné ses fonctions sans grande résistance.
Dans les deux cas, les démissionnaires s’étaient entretenus peu avant
leur départ avec Igor Ivanov, qui était chef de la diplomatie russe
l’automne dernier et agissait mercredi soir en tant que secrétaire du
Conseil de sécurité de son pays.
Depuis la fin de l’URSS en 1991, le Kremlin s’est efforcé de
maintenir son influence sur cette zone stratégique du Caucase, verrou
méridional face à la Turquie, membre de l’Otan, et à l’Iran.
Les premiers outils de cette influence restent à ce jour les deux
bases militaires russes encore présentes en Géorgie, rassemblant un
total théorique de 7.000 hommes, et dont l’une se trouve en Adjarie.
Avec celle de Gümri, en Arménie voisine, elles dessinent une ligne
face à la Turquie.
»Ces bases ne sont pas seulement un stabilisateur de la situation
intérieure géorgienne, mais aussi un stabilisateur de nos intérêts
dans le Caucase», a rappelé mercredi le général russe Léonid Ivachov,
ex-responsable des relations extérieures du ministère de la Défense.
Aslan Abachidzé était le deuxième agent de cette influence, comme
l’avait souligné mercredi le quotidien russe Kommersant. »Dès qu’il
disparaîtra, la Russie perdra (…) un puissant levier d’influence
sur la situation dans la Transcaucasie», observait le journal.
Moscou a joué sans vergogne des tendances séparatistes en Géorgie
dans les années 90, en soutenant celles des Abkhazes et des Ossètes
du sud, dont les territoires contrôlent deux des trois voies de
franchissement de la chaîne du Caucase.
Un jeu semblable s’est mis en place à l’automne dernier, après la
démission du président géorgien Edouard Chevardnadzé, rentré dans les
bonnes grâces du Kremlin, quand la Russie a suggéré qu’elle pourrait
offrir un système de visas simplifié pour les Géorgiens d’Adjarie.
Mais à chaque fois, Moscou a fini par choisir la voie du pragmatisme,
en lâchant des féaux confrontés à une véritable contestation
populaire et rejetés de surcroît par les Etats-Unis.
Car Washington a son mot à dire dans l’affaire, avec la construction
en cours à travers la Géorgie d’un oléoduc pour le transport vers les
marchés occidentaux des hydrocarbures de l’Azerbaïdjan voisin et, au
delà, du Kazakhstan et du Turkménistan.
»Les Etats-Unis et l’Europe nous ont sérieusement aidés dans le
dialogue et nous avons reçu leur soutien total», a remarqué jeudi Mme
Zourabichvili.
Le pragmatisme de la Russie pourrait être récompensé, alors que
Moscou négocie un retrait de ses bases avec Tbilissi, et compte sur
une plus grande coopération de la Géorgie pour éliminer les bases
arrières des rebelles tchétchènes censées se trouver sur son
territoire.