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Référence: Le Figaro, spécial 6 juin 1944

Ce parachutiste américain avait 19 ans quand il sauta sur Sainte-Mère-Eglise

Howard Manaoian.
(Photo J.- C. Marmara/Le Figaro.)

Howard Manaoian : «Partis à 44, nous revenons à 18»

Propos recueillis par Thiébault Dromard
[02 juin 2004]

Il a choisi la France. Caporal chef de l’infanterie parachutiste,
Howard Manoian a 19 ans quand il est parachuté au-dessus du petit
village normand de Sainte-Mère-Eglise. Le Figaro l’a retrouvé
soixante ans après dans cette bourgade du Cotentin, où il a établi sa
résidence principale depuis 1992. D’origine arménienne, cet enfant du
Massachusetts avoue apprécier le calme de la campagne normande, sauf
à la veille de chaque anniversaire du débarquement. Ses souvenirs de
la bataille de Normandie sont intacts. Il nous livre ici le journal
de ces heures et de ces jours historiques.

4 et 5 juin

«La tempête fait rage. Le vent et la pluie balayent le tarmac du camp
d’aviation située à quelques encablures de Leicester, en Angleterre. La
météo n’est pas de la partie. Ce n’est pas tant la pluie qui nous
inquiète, que les bourrasques de vent qui s’amplifient au fur et à
mesure de la journée du 4 juin. Le vent, c’est sans doute le pire
ennemi des parachutistes. Nous sommes pourtant prêts à y aller. Les
manœuvres, nous les connaissons par cœur pour les avoir répétées de
longs mois, ici, de l’autre côté du Channel. Mais la décision tombe, le
Débarquement est reporté de 24 heures. Une journée de plus à attendre,
à imaginer le pire, à ressasser les consignes dans notre tête, à
feuilleter, sans réelle motivation, le dictionnaire anglais-français
que la logistique nous a remis dans notre paquetage. La peur est
là. Nous connaissons tous les statistiques, un parachutiste sur
deux meurt avant d’avoir foulé le sol. Dans sa grande «générosité»,
l’Etat américain nous accorde d’ailleurs une sorte de prime de risque
mensuelle de 50 dollars.

Le 5 juin au soir, comme prévu, une légère amélioration se
dessine. Cette fois-ci, c’est la bonne. Dans quelques heures, nous
survolerons la Manche, puis les côtes normandes. Dans mon esprit,
dans celui de tous mes camarades, cette opération doit être de courte
durée. Pas question de s’attarder en France. Le débarquement achevé,
nous foncerons sur Berlin, notre ultime objectif.

Nuit du 5 au 6 juin

L’avion décolle vers 1 heure du matin et gagne rapidement le Cotentin,
distant d’à peine 200 kilomètres de notre base. Mon bataillon, le 505e
régiment, a pour objectif principal de prendre un pont qui enjambe
la petite rivière de Merderet, un affluent de la Douve, située à 3
ou 4 kilomètres de Sainte-Mère-Eglise. L’avion entame sa descente,
il a prévu de nous faire sauter au plus bas, c’est-à-dire à 200 mètres
d’altitude maximum.

Je saute parmi les derniers. Mauvais présage, ou hasard d’un
pilotage imprécis, j’atterris au beau milieu du cimetière de
l’église du village. Je ramasse rapidement mon paquetage et décampe
de ce lieu inhospitalier. Je retrouve avec bonheur trois de mes
camarades. Mais la joie des retrouvailles est vite effacée par la
riposte allemande. L’alerte a été donnée, les batteries de la Werhmacht
s’exécutent. J’essaye de prendre contact avec le reste de ma compagnie,
mais la connexion de ma radio est défectueuse.

Le combat de position fait rage dans les rues de Sainte-Mère-Eglise. On
progresse très lentement, rue après rue, quartier par quartier.

6 juin

Le jour se lève et la lumière expose à nu les dures réalités de la
guerre. Les corps s’amoncellent déjà dans les rues, les blessés se
comptent par dizaines. Des fermes transformées en hôpitaux de fortune
accueillent les éclopés.

Un officier américain vient me trouver. Il a besoin de renfort
pour prendre le château de Fauville, quartier général des
officiers allemands. Cette solide bâtisse est située à la sortie de
Sainte-Mère-Eglise, sur la route de Carentan. Pris par surprise, dans
son sommeil, l’ennemi oppose une résistance passive à notre assaut. En
une demi-heure, l’affaire est bouclée, et les 40 officiers sont sous
notre contrôle. Six parachutistes sont affectés à la surveillance
du château.

Pour ma part, je regagne le nord de Sainte-Mère-Eglise, où une poche
de résistance sévit. Nous partons à 44, nous revenons, le 7 au matin,
à 18 de cette sanglante boucherie. Le commandant du bataillon, le
sergent Robert Nyland, qui avait débarqué quelques heures plus tôt
à Utah Beach, est mort.

7 juin

La journée entière est consacrée à la libération de
Sainte-Mère-Eglise. Le combat de rue est intense.

Bientôt, la ville ressemble à un champ de ruines. Cela fait maintenant
près de deux jours que j’ai été parachuté. Deux jours sans aucune
nouvelle du reste de ma compagnie, basée à 4 kilomètres d’ici, en rase
campagne. Nous tentons pourtant d’établir une communication mais nos
radios ont été mal montées et rien ne fonctionne. Il faut attendre la
fin de la journée du 7 juin pour que nous puissions enfin réaliser que
nous maîtrisons la situation. La résistance allemande est bien plus
forte que nous l’imaginions. Demain, nous pourrons enfin rejoindre
nos camarades.

8 juin

Nous quittons Sainte-Mère-Eglise au petit matin. Mais avant de laisser
cette bourgade derrière nous, il nous faut absolument trouver un point
d’eau. Plus que faim, nous avons terriblement soif. Je n’ai pas bu
depuis trois jours. Je frappe à une porte. Je ne parle pas un mot
de français. Un homme m’ouvre. Je lui montre mon drapeau américain
à l’épaule pour le rassurer. Je tourne fébrilement les pages de mon
dictionnaire pour trouver les mots qui me donneront à boire. «Je
veux boire…», je n’ai pas le temps de dire de l’eau que l’homme
apporte une bouteille enveloppée d’un papier journal de sorte que
je ne parviens pas bien à en distinguer le contenu. Il me sert alors
généreusement de son liquide, qui a une couleur bien jaunâtre. Je me
souviens alors que la logistique nous avait mis en garde sur le fait
que l’eau, dans la plupart des villages de France, n’est pas potable.

Je sors alors deux comprimés purificateurs. J’attends qu’ils fassent
leur effet, et avale à grandes gorgées ce breuvage. J’ai à peine le
temps de réaliser qu’il s’agissait d’un alcool fort que je suffoque
et manque de m’étouffer. Je comprends que cet homme a cherché à
m’empoisonner. Je pointe ma mitraillette sur lui, mais il m’explique
tant bien que mal qu’il m’a servi une sorte de brandy à la pomme
appelé calvados. Pour m’excuser, je lui offre mes cigarettes.

Nous arrivons en début d’après-midi à destination et retrouvons avec
joie le reste de mes camarades. Mais rapidement, je constate que notre
compagnie accuse de lourdes pertes. Le bilan est effroyable. Deux
cents soldats ont sauté sur le pont le 6 juin. Deux jours après, il
n’en reste que 60 debout. 80 sont gravement blessés, 60 ont péri au
combat. Postés sur l’autre rive de la rivière, trois chars allemands
ont riposté pendant deux jours sans discontinuer. Il s’agit d’engins
français de la marque Renault, que les Allemands se sont procurés dès
1940. Deux d’entre eux ont explosé à la suite de tirs de bazooka,
le troisième a pris la fuite pour contourner notre front et nous
attaquer par-derrière. Il n’a pas eu le temps de faire de dégâts
car nous l’avons intercepté et anéanti avant même qu’il ne tire sa
première salve.

9 juin

Première grande victoire, nous parvenons enfin à traverser ce
petit pont de pierre et à gagner l’autre rive de cette rivière,
la Merderet. Nous pouvons maintenant poursuivre notre avancée plein
ouest et contrôler une partie non négligeable de la presqu’île du
Cotentin. Nous gagnons enfin concrètement du terrain. Nous pouvons
désormais considérer que le Débarquement s’est achevé pour laisser
la place à la bataille de Normandie».

Howard Manoian est blessé gravement pour la première fois le 17 juin,
à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Une balle lui traverse la paume de la main,
de sorte «qu’on pouvait voir à travers». Il est également touché aux
deux jambes. Il est transféré dans un hôpital de campagne aménagé
sur la plage d’Utah Beach. Le sort s’abat une nouvelle fois sur lui
à sa sortie de l’hôpital. Un chasseur allemand mitraille la plage
en rase-mottes et le blesse à l’autre main. Pendant que le 505e
régiment libère le sud de la Manche, et notamment la Haye-du-Puit,
Howard Manoian est transféré en Angleterre par navire-hôpital, et
placé en convalescence jusqu’au 13 septembre. Il participe ensuite à
la campagne de Hollande, puis à celle des Ardennes, particulièrement
éprouvante. «Je n’ai jamais eu aussi froid», confie-t-il.

Howard Manoian ne marchera pas sur Berlin, il sera arrêté de nouveau
dans sa course par une grave blessure en mars 1945, qui l’oblige à
regagner définitivement les Etats-Unis. Il foule le sol américain le
10 mai, et savoure six semaines de permission.

Au lendemain de la guerre, Howard Manoian quitte l’armée. Il devient
gardien de prison, fonction dans laquelle il «s’ennuie à mourir». Il
quitte l’administration pénitentiaire pour exercer le métier de
policier pendant 32 ans.

http://www.lefigaro.fr/6juin/20040602.FIG0382.html
Jilavian Emma:
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