Libération, France
17 juin 2004
Non, la Turquie n’est pas innocente
La lettre de Reynald Beaufort parue le 15 juin dans Libération
s’inscrit dans la lignée des dénégations mielleuses de
l’extermination des Arméniens. En effet, même si le président de
l’association Turquie européenne a l’habileté de ne pas reprendre
directement à son compte les mensonges d’Ankara sur le sujet, il
n’hésite pas à s’en faire l’avocat zélé.
Je répondrai à M. Beaufort ceci :
1) Tous les partis politiques français, même les plus favorables à la
Turquie, subordonnent son adhésion à sa reconnaissance du génocide
arménien, conformément à la résolution votée le 18 juin 1987 par le
Parlement européen.
2) Cette reconnaissance officielle continue d’être un combat pour les
descendants des victimes.
3) En ce qui concerne le statut des Arméniens de Turquie (environ 70
000 sur les 2 300 000 qui y vivaient avant le génocide), chacun sait
qu’ils ne sont tolérés que dans la mesure où ils se conforment à la
position que les autorités exigent d’eux sur le génocide : la
soumission à un silence forcé.
4) En ce qui concerne l’effacement de toutes traces des Arméniens sur
les territoires historiques, je vous renvoie au livre de William
Dalrymple Dans l’ombre de Byzance : sur les traces des chrétiens
d’Orient, qui rapporte comment procèdent les autorités turques pour
transformer en mythe l’existence des Arméniens sur leurs terres.
5) En ce qui concerne la complicité turque avec la solution finale,
il s’agit bien de celle apportée à la question arménienne et qui a
été réglée avec l’élimination physique des Arméniens. Quant à
l’attitude turque durant la Seconde Guerre mondiale, il y aurait
beaucoup à dire. Rappelons simplement qu’Ankara est opportunément
entrée en guerre contre l’Allemagne nazie le 1er mars 1945…
Cette lettre souligne l’urgence d’une législation qui permettrait aux
victimes de pouvoir se défendre contre les agressions négationnistes,
dont on connaît le caractère pernicieux. Une nécessité que rend
prioritaire la perspective d’adhésion d’un Etat turc qui est appelé,
si l’on en croit ses thuriféraires, à jouer à terme un rôle majeur
dans les organes de direction de la future Europe.
Ara Toranian, Conseil de coordination des organisations arméniennes
de France (CCAF)