Sommet de l’OTAN. La Turquie pousse ses pions en Europe

La Croix
28 juin 2004

Sommet de l’OTAN. La Turquie pousse ses pions en Europe. Istamboul
accueille aujourd’hui et demain le sommet de l’Otan. Une occasion
pour la Turquie de prouver à ses alliés européens qu’elle est un
atout stratégique pour l’avenir de l’Union européenne. ANKARA,
reportage de notre envoyée spéciale.

par ROTIVEL Agnès

Après la tenue du sommet de l’Organisation de la conférence islamique
(OCI) en juin, la Turquie accueille aujourd’hui les chefs d’Etat et
de gouvernement des 26 pays appartenant à l’Organisation du traité de
l’Atlantique-Nord (Otan), dont elle est membre depuis 1952. Un
événement à la hauteur des grandes ambitions de la Turquie et de son
premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qui veut montrer que la
position géopolitique et stratégique unique de la Turquie en fait un
partenaire incontournable.

Elle a forgé des relations amicales avec la Bulgarie et la Roumanie,
auparavant dans la sphère d’influence de l’ex-URSS. Ankara a
également noué des relations étroites avec des pays émergents du
Caucase et de l’Asie centrale, devenus stratégiques en matière de
pétrole et de débouchés économiques pour la Turquie. Ainsi, le
pétrole de la mer Caspienne devrait être transporté par le nouveau
pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan (Ceyhan est située dans le sud de la
Turquie, à proximité de la frontière syrienne), en service en 2005.
De plus, du temps de l’ancien premier ministre turc Turgut özal, le
pays, guidé par le nouvel environnement international, avait amorcé
une politique étrangère libérale , héritage que reprend la nouvelle
équipe au pouvoir aujourd’hui, en y ajoutant le terme pacifique .

· l’occasion du tremblement de terre qui a frappé la Turquie en 1999,
les Grecs et les Turcs ont entrepris un rapprochement historique.
Depuis l’arrestation du leader du Parti des travailleurs kurdes
(PKK), Abdullah Ocal”n, le gouvernement Erdogan a renoué des
relations politiques et économiques avec la Syrie, recevant en visite
officielle, le 6 janvier, son président, Bachar el-Assad. Enfin, avec
le soutien du plan Annan au référendum pour la réunification de l’île
de Chypre, bien que refusé par les Chypriotes grecs, Ankara a montré
sa bonne volonté pour mettre un terme à ce conflit de plus de trente
ans. Sur le front géorgien, c’est aussi la détente. Avec les Kurdes
de Turquie, sous la pression européenne, Ankara a accéléré les
réformes. La chaîne en continue CNN Turc a diffusé pour la première
fois une chanson en Kurde et les cours privés en langue kurde
devraient commencer à se généraliser. Reste l’Arménie, pays avec
lequel le contentieux demeure, du fait de la non-reconnaissance du
génocide dont fut victime la population arménienne en 1915.

Selon Seyfi Tashan, directeur de l’Institut de politique étrangère à
Ankara, la Turquie pourrait être une porte d’accès à des pays dont
l’Europe ne serait pas forcément très familière. Pour un conseiller
du premier ministre turc, depuis le 11 septembre 2001, nous avons
travaillé à renforcer la démocratie en même temps que la sécurité .
Une stratégie qui vise, dit-il, à aplanir les frontières au lieu de
les renforcer. Lorsqu’il s’agit de l’Iran, de la Syrie et des Kurdes,
nous regardons les réalités d’aujourd’hui, nous ne nous basons pas
sur le passé. Nous ne renouons pas des liens avec les Syriens et les
Iraniens sur le dos des Kurdes. Nous voulons établir une zone de paix
et prévenir les affrontements

ethniques .

Parallèlement, l’évolution de la politique étrangère de la Turquie a
bousculé ses relations avec deux de ses alliés de toujours : Israël
et les Etats-Unis. En 1996, Ankara et Tel-Aviv signaient un accord de
coopération militaire. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement
de l’AKP affirmait remplir le rôle de facilitateur dans le conflit
israélo-palestinien. Mais voilà que, fin mai, les relations entre les
deux pays se sont gtées. Recevant à Ankara le ministre israélien des
infrastructures, le premier ministre turc lui demandait : Quelle est
la différence entre les terroristes qui tuent des civils israéliens,
et Israël qui tue aussi des civils ? Quelques jours plus tard, dans
un entretien au quotidien israélien Haaretz, il qualifiait les
opérations israéliennes à Rafah de terreur d’Etat , provoquant une
véritable crise diplomatique. En avril, une visite du vice-premier
ministre israélien Ehoud Olmert avait été annulée. En novembre,
Receyp Tayyep Erdogan déclinait une invitation d’Ariel Sharon. La
Turquie réprouve les méthodes des terroristes palestiniens, mais
s’affirme pour la création d’un Etat palestinien, contre la
construction du mur et réclame qu’Israël respecte les droits des
Palestiniens.

Depuis la guerre en Irak, les différends se sont accumulés aussi avec
Washington, la Turquie refusant le passage des troupes américaines
sur son sol. Il n’est pas bon d’avoir une seule superpuissance dans
le monde , explique Hüsnü Bozkurt, ancien officier de l’armée turque.
Et d’avancer les pions de la Turquie dans l’Union européenne : Si
l’Union européenne avait fixé une date pour l’entrée d’Ankara au
moment de la guerre en Irak, ce n’est pas par deux voix que la
Turquie aurait refusé le passage des troupes américaines sur son sol,
mais par une majorité. Nous avons déjà adopté un certain nombre de
standards européens. Nous partageons déjà notre souveraineté et, une
fois dans l’UE, nous ferons partie du processus de décision , estime
encore Seyfi Tashan. Mais qu’en pense l’armée, le pilier de l’Etat
turc ? Il y a deux choses qu’elle n’acceptera jamais, affirme
l’ancien militaire, Hüsnü Bozkurt, c’est d’être le légionnaire des
Américains au Proche-Orient et dans le Caucase et d’être l’armée d’un
pays fondamentaliste religieux . De quoi rassurer l’Europe à l’heure
du sommet de l’Otan.

AGNÔS ROTIVEL

From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress