Salah le chiite et Vartan le chretien, amis face aux islamistes

Agence France Presse
July 15, 2004 Thursday

Salah le chiite et Vartan le chretien, amis face aux islamistes

par Sebastien BLANC

BAGDAD

Cinq attentats ont devaste des magasins d’alcool de l’avenue
Al-Thariba a Bagdad: au milieu des gravats, un chretien et un chiite
assurent jeudi que leur amitie est plus forte que les islamistes.

Vartan Sarkissian, 51 ans, est un Irakien d’origine armenienne. Sa
famille vit a Bagdad depuis des decennies, apres avoir echappe au
genocide de 1915 sous l’Empire ottoman. Leur quartier est comme eux,
chretien.

Du moins a 90%. Car Salah Abdallah y habite aussi. Ce chiite de 38
ans, marchand de voitures, reside juste au-dessus du commerce de
Vartan, qui vend des telephones cellulaires.

Les deux moustachus sont amis depuis dix ans. Leurs enfants jouent
ensemble. Ils se refusent rarement un petit verre, y compris
alcoolise.

Salah le musulman modere est parfois invite a l’eglise, pour des
ceremonies importantes. Il a une effigie de Jesus a l’avant de sa
voiture, un “cadeau d’amis chretiens”. Il a aussi beaucoup aime “la
Passion du Christ”, le film de Mel Gibson.

Pas etonnant dans ces conditions que les comperes s’epaulent,
quelques heures apres une serie d’explosions qui ont souffle les
devantures des boutiques d’alcool, au pied des immeubles. Celle de
Vartan a egalement ete endommagee par l’onde de choc.

“On ne veut pas d’un gars avec un turban pour diriger l’Irak. Ce
n’est pas possible d’instaurer un regime islamiste ici”, dit,
rassurant, Salah.

Pour lui pas de doute: les attaques de la nuit sont l’oeuvre de
l’Armee du Mehdi du chef radical chiite Moqtada Sadr. Ces miliciens
pronent une application rigoriste de l’islam et voient d’un mauvais
oeil les debits de boisson generalement tenus par des chretiens.

“Moqtada a divise les chiites. Mais ces attentats ne vont pas
affecter nos relations avec les chretiens. Ce sont nos freres, ils
ont toujours vecu ici”, reprend Salah.

Pourtant, les intimidations ont des consequences. Vartan connait cinq
ou six familles chretiennes qui sont recemment parties en Syrie ou au
Kurdistan irakien. “C’est triste, reagit Salah, des gens avec
lesquels on a vecu sans probleme durant vingt ans”.

Son compagnon chretien assure, lui, vouloir rester. “Je vais reparer
mon magasin et prier pour ces gens qui ont perdu le sens commun”, dit
Vartan. Il dedouane les musulmans irakiens des violences recentes.
“Il n’y a qu’a considerer les cibles pour trouver ceux qui poussent
derriere: c’est l’Iran”.

Salah et Vartan sont prets a reprendre les patrouilles communes
qu’ils menaient, kalachnikov en main, lors des pillages de
l’apres-guerre, afin de securiser les commerces du quartier.

“Je le protegerai. Il me protegera. Nous ne sommes pas seulement des
voisins, nous sommes des amis, des freres. Il est comme l’oncle de
mon fils. Des gens veulent casser la chaine qui unit chretiens et
musulmans, ils n’y arriveront pas”, predit Vartan.

Les attentats contre les debits de boissons alcoolisees se sont
multiplies ces dernieres semaines en Irak. “Avec les troubles, la
situation est plus difficile” pour les chretiens, a recemment estime
le patriarche chaldeen Emmanuel Delly, qui represente la plus grosse
communaute chretienne d’Irak.