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Le Figaro, France
19 juillet 2004

Dès son élection en 2002, Erdogan avait promis de s’attaquer
réellement à la corruption

Opération «Mains propres» à Istanbul

Istanbul : de notre correspondante M.-M. M.
[19 juillet 2004]

L’arrogance d’Alaattin Çakici, le puissant parrain turc arrêté la
semaine dernière en Autriche, a au moins le mérite de mettre au grand
jour ce qui n’était jusque-là qu’un secret de Polichinelle :
l’existence des liens occultes qui, pendant de longues années, se
sont noués, souvent pour le pire, entre certains cercles du pouvoir
politique turc et ceux du grand banditisme.

Aux policiers qui, après l’avoir intercepté, lui demandaient de
descendre de son véhicule, le parrain a d’abord adressé ses
félicitations, avant de s’étonner, tout de même assez naïvement, de
s’être ainsi fait prendre, lui qui croyait voyager incognito, protégé
par son passeport établi au nom de Faik Meral, un ancien membre du
MIT, les services secrets turcs, où il semblait avoir de nombreux
amis.

Placé en garde à vue au lendemain de l’arrestation de Çakici, Faik
Meral aurait livré certains aveux à la police, confirmant la
participation de son protégé à des opérations menées au sein des
services secrets, notamment sur le territoire français, à la fin des
années 1980, contre l’Asala, l’Armée secrète arménienne de libération
de l’Arménie. Militant de l’extrême droite turque, membre des
ultranationalistes Loups gris, Alaattin Çakici a le profil exact de
ces hommes de main qui ont d’abord rendu de nombreux services
occultes avant de devenir des amis encombrants mais difficiles à
écarter, car sans scrupule.

Alaattin Çakici a ainsi pu commettre de nombreux forfaits en se
jouant de la police et des lois grce à ses puissantes relations :
meurtrier de sa propre femme, d’un ancien associé et de trois autres
personnes, il n’a purgé jusqu’à ce jour que 5 années de prison au
total, jouant à saute-mouton avec les frontières et n’hésitant pas à
s’en prendre physiquement à un journaliste qui suivait ses affaires
d’un peu trop près.

Le parrain turc se croyait intouchable, protégé au plus haut sommet
de l’Etat qu’il n’a pas hésité cependant à déstabiliser, en révélant
notamment ses liens avec l’entourage de l’ancien premier ministre
Mesut Yilmaz.

Arrêté en France, en 1998, pour falsification de passeport, et jugé à
huis clos en raison des menaces de mort qui pesaient sur sa personne,
Alaattin Çakici avait déclaré avoir des liens avec les services
secrets turcs ainsi que certains dirigeants politiques de son pays.
Il n’avait pas hésité à donner des noms, notamment celui de Mesut
Yilmaz, avec qui il prétendait s’être entretenu par téléphone «au
moins une douzaine de fois», ce que l’ancien premier ministre a
toujours démenti.

Il n’empêche que cet éminent homme politique ainsi que son ministre
de l’Economie de l’époque, Gunes Taner, sont maintenant accusés de
malversations dans le cadre de la cessation au privé de la Türkbank,
vendue dans des conditions douteuses à un homme d’affaires lié au
milieu turc.

Ce genre de scandale, qui suscite une attention particulière en
raison de la notoriété des personnes impliquées, n’est pas rare en
Turquie. Selon un rapport de la chambre de commerce d’Ankara, le
crime organisé est impliqué dans une centaine de secteurs de
l’économie du pays et le marché noir brasse un chiffre annuel de 48
milliards d’euros. Dans le même temps, les faillites bancaires, qui
se sont multipliées ces dernières années, ont coûté cher à l’Etat
qui, pour protéger les déposants, garantit les dépôts et a dépensé
environ 35 milliards d’euros pour assainir le secteur et couvrir les
pertes.

Dès son élection en 2002, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan
avait promis de faire de la lutte contre la corruption l’une de ses
priorités. Au début de cette année, à l’occasion d’un autre gros
scandale bancaire, celui de la banque Imar, il avait mis en garde
tous ceux qui refuseraient désormais de respecter les règles.
Mercredi dernier, le Parlement turc lui a apporté son soutien en
décidant, à une très large majorité, d’envoyer Mesut Yimaz et son
ancien ministre Gunes Taner devant la Haute Cour de justice où ils
devront répondre notamment des accusations de corruption et d’abus de
pouvoir. Et s’expliquer sur leurs peu recommandables
fréquentations…

A la veille de cette décision parlementaire qualifiée d’«historique»
par plusieurs journaux turcs, les députés avaient déjà voté en faveur
de la comparution devant la Haute Cour de deux anciens ministres de
l’Energie, Cumhur Ersumer et Zeki Çakan. Ce dernier est accusé
d’avoir trahi les intérêts de l’Etat en réduisant le prix du gaz
naturel exporté, lors d’un contrat passé avec la Russie.

Toutes ces mises en accusation ressemblent fort à une opération
«mains propres» en Turquie. Et les nouveaux dirigeants du pays n’ont
pas l’air de vouloir perdre de temps. Dès le lendemain de
l’arrestation d’Alaattin Çakici, le ministre de la Justice, Cemil
Cicek a demandé son extradition «aussi rapide que possible».

La nouvelle harmonisation pénale qui vient définitivement de faire
disparaître la peine de mort de la Constitution turque devrait
faciliter les démarches entre l’Autriche et la Turquie et permettre
que le parrain soit enfin jugé pour tous ses crimes.

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