Le Figaro, France
21 juillet 2004
TURQUIE Le premier ministre, reçu hier Ă l’ElysĂ©e par Jacques Chirac,
a plaidĂ© pour l’adhĂ©sion de son pays Ă l’Union europĂ©enne
Chirac demande Ă Erdogan un dernier effort
Luc de Barochez
[21 juillet 2004]
La France a dĂ©livrĂ© hier un double message d’encouragement et de
patience à la Turquie : Ankara est bien engagée sur la voie de
l’adhĂ©sion Ă l’Union europĂ©enne (UE), mais le chemin sera long.
L’ouverture des nĂ©gociations, qui sera en principe dĂ©cidĂ©e en
dĂ©cembre Ă Bruxelles par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE,
dépend encore des derniers efforts à accomplir par la Turquie pour
adapter sa législation aux critères européens.
Jacques Chirac a reçu le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan,
autour d’un dĂ©jeuner Ă l’ÉlysĂ©e. Lors d’un tĂŞte-Ă -tĂŞte avec son hĂ´te,
le président de la République a renouvelé son soutien à la
candidature turque Ă l’UE. «Il a rappelĂ© que l’intĂ©gration de la
Turquie dans l’Union europĂ©enne Ă©tait souhaitable dès qu’elle serait
possible», a rapportĂ© l’ÉlysĂ©e.
Pour en arriver là , Jacques Chirac a demandé au chef du gouvernement
turc de «poursuivre et intensifier la mise en oeuvre des réformes
démocratiques et économiques». La Commission européenne doit remettre
début octobre son rapport indiquant si la Turquie a adapté sa
législation aux critères européens. Lors de leur dernier sommet le
mois dernier Ă Bruxelles, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE
avaient demandé à Ankara des progrès supplémentaires concernant le
respect des droits de l’homme et la rĂ©forme de la justice. C’est au
vu des rĂ©formes effectivement appliquĂ©es qu’ils prendront leur
décision en décembre.
Erdogan s’est d’ores et dĂ©jĂ dĂ©clarĂ© assurĂ© du soutien de la France Ă
l’issue des entretiens qu’il a eus hier et avant-hier avec les plus
hautes autoritĂ©s de l’État. «Nous avons eu un entretien très
positif», a déclaré le chef du gouvernement turc en sortant de
l’ÉlysĂ©e. Il a assurĂ©, lors d’une confĂ©rence de presse, que la
Turquie avait «fait tout ce qui était nécessaire» pour respecter les
critères lĂ©gislatifs, administratifs et judiciaires de l’UE. «Nous
avons rĂ©alisĂ©, en gros, l’essentiel des critères», fixĂ©s par l’Union,
a-t-il dit. Il a reconnu qu’il restait «encore quelques changements Ă
apporter au Code pĂ©nal turc». D’après lui, ce sera chose faite «dès
la fin des vacances parlementaires» à Ankara.
Conscient des rĂ©ticences dans la classe politique et l’opinion
publique française, Erdogan a minimisé la portée de la décision que
doit prendre le Conseil europĂ©en. «En dĂ©cembre, il ne s’agira pas de
dĂ©cider de l’adhĂ©sion de la Turquie, mais seulement de l’ouverture du
processus de négociation», a-t-il dit. Le premier ministre turc a
exclu que l’UE pose des conditions Ă l’ouverture des nĂ©gociations
autres que les critères gĂ©nĂ©raux, dits «de Copenhague», dĂ©jĂ
appliquĂ©s pour l’entrĂ©e en mai de dix nouveaux pays dans l’Union. Ni
la reconnaissance du gĂ©nocide armĂ©nien, ni la fin de l’occupation
militaire du nord de Chypre ne figurent parmi les revendications de
l’UE pour le lancement des pourparlers. En ce qui concerne le
génocide, «laissons cela aux mains des historiens», a lancé Erdogan.
Quant à Chypre, la Turquie a fait «tout son possible pour être
constructive», a-t-il affirmé en imputant à la seule partie chypriote
grecque l’Ă©chec des tentatives rĂ©centes de rĂ©unification de l’Ă®le.
Pour gagner les chefs d’entreprise français Ă la cause de l’adhĂ©sion
turque, Erdogan a eu hier matin un entretien au Medef. Les
nĂ©gociations pour l’achat d’avions moyen et long courriers Airbus par
la compagnie nationale turque Turkish Airlines «sont en cours de
finalisation», selon les autorités françaises. Turkish Airlines se
prĂ©pare Ă acheter une quarantaine d’avions de ligne pour renouveler
sa flotte vieillissante. Airbus est en concurrence avec l’amĂ©ricain
Boeing. Le contrat de 1,6 milliard d’euros devrait en principe ĂŞtre
partagé entre les deux avionneurs. La signature de la lettre
d’intention serait imminente, ce qui mettrait les EuropĂ©ens dans les
meilleures dispositions.
Candidate officielle depuis 1999, la Turquie a obtenu, lors de la
visite d’Erdogan Ă Paris, la quasi-assurance qu’elle pourra commencer
les nĂ©gociations d’adhĂ©sion dès l’an prochain. Mais, une fois
ouvertes, elles s’annoncent très difficiles. «Il faut dire la vĂ©ritĂ©.
Ce n’est pas demain que la Turquie va entrer dans l’UE, a expliquĂ© le
ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, hier sur Europe 1.
Le chemin est encore long.»
Erdogan en a déduit que les pourparlers dureront «cinq à dix ans».
Pour Ankara, qui s’est vu offrir dès 1963 la perspective d’une entrĂ©e
dans la CommunautĂ©, ce n’est plus qu’une dernière ligne droite.