Asloum, frere de larmes

L’Equipe
19 août 2004

Asloum, frère de larmes;
Après avoir passé la journée d’hier au village olympique, le champion
de Sydney a assisté à la défaite de son frère.

LES YEUX ROUGIS, Brahim Asloum s’approche de son frère et les deux
hommes s’embrassent. Dans leur regard, il y a une immense tendresse.
Et un énorme respect. Respect de Redouane pour celui qui a été
champion olympique en 2000. Respect de Brahim pour son petit frère
qui s’est battu comme un homme. Qui s’est fait un prénom. Qui a
montré qu’il n’était pas « que » le frère du champion.

Quelques minutes plus tôt, Redouane a été battu aux points 20-27 par
l’Arménien Aleksan Nalbandyan, en seizième de finale des mi-mouche,
catégorie où son aîné a obtenu l’or à Sydney. Brahim a suivi le
combat dans la tribune des télévisions, au côté des commentateurs de
Canal +. Au dernier coup de gong, il est descendu dans la zone mixte,
là où les journalistes peuvent interviewer les boxeurs avant leur
retour au vestiaire. Redouane répondait déjà aux radio-reporters
quand Brahim le rejoignit.

« C’est dur d’être proche de quelqu’un, d’être un peu impuissant,
avoue le champion olympique 2000. J’avais envie de le protéger. Je
préfère être dans la peau du boxeur et prendre une raclée sur le ring
que de ne rien pouvoir faire pour mon petit frère. Ce soir, j’ai
compris beaucoup de choses. Je vais m’entraîner encore trois fois
plus dur pour que ma famille, quand elle me regarde boxer, n’ait pas
peur pour moi, comme moi j’ai eu peur pour Redouane. »

La journée d’hier restera certainement gravée dans la mémoire de
Brahim. Le matin, à 8 h 30, il était arrivé au village olympique.
Grce à une permission exceptionnelle, il allait passer la journée
avec son cadet et l’équipe de France de boxe amateurs.

« Plein de souvenirs me sont revenus, remarque Brahim. Ç’a été un
moment de nostalgie. Magique, même si j’ai trouvé le village un peu
bétonné, avec moins de verdure que celui de Sydney. »

Au hasard des allées, il a croisé la gymnaste Isabelle Severino,
l’athlète Leslie Djhone, le handballeur Olivier Girault, le pistard
Arnaud Tournant. « Ils m’ont demandé ce que je faisais là , m’ont dit
que ça leur faisait plaisir de me revoir. »

« J’étais pareil à Sydney »

En fin de journée, il a empoigné le sac de Redouane et emprunté la
navette pour le Peristeri Olympic Boxing Hall. « Quand je boxe, on
porte mon sac. Alors, quand c’est Redouane qui monte sur le ring, je
fais moi aussi tout pour éviter qu’il se fatigue. Quand on s’est
quittés, on s’est embrassés. J’ai rarement vu un mec aussi serein.
J’étais pareil à Sydney. Dans cet état d’esprit, rien ne peut
t’arriver. Tu as travaillé pour être le meilleur. »

Les deux frères rêvaient de voir le nom d’Asloum s’inscrire de
nouveau quatre ans plus tard au palmarès olympique, mais Redouane (23
ans) retrouvait Nalbandyan (33 ans) qui l’avait déjà battu deux fois.
Très expérimenté, l’Arménien a surtout une boxe fuyante qui perturbe
Redouane. Pourtant, le cadet des Asloum joua crnement sa chance.
Imposant un terrible pressing, il compta encore trois points d’avance
au troisième round (16-13). Mais il était obligé de s’exposer et il
fut ainsi compté deux fois debout dans le deuxième round. Dans le
quatrième, il accusa la fatigue. Sur la chaîne cryptée, Delcourt et
Bouttier se turent dans le quatrième round pour le laisser seul
parler.

« Je suis à la fois fier et triste, soupire Brahim (25 ans). Fier de
son combat et triste qu’il n’aille pas plus loin, car il avait un
combat moins dur, contre l’Irakien Najah, au tour suivant. Déjà qu’il
n’a pas une situation facile en faisant le même sport que moi, où on
lui rappelle toujours qu’il est mon frère… »

Brahim espérait ne plus se retrouver à commenter des combats de son
frère, mais il pourrait connaître la même situation dans quatre ans,
à Pékin. À moins que Redouane, qui n’a pas encore pris de décision,
passe lui aussi professionnel.