Le Monde, France
mercredi 25 Août 2004
Les plus heureux ne sont pas ceux qu’on croit
La Suède est le meilleur pays du monde mais on est plus heureux au
Nigeria. Telles sont les conclusions de deux études menées
indépendamment et dont les résultats croisés sont pour le moins
surprenants.
La première enquête a été réalisée durant l’été par l’hebdomadaire
américain Newsweek qui titrait en couverture : “The best countries in
the world” (les meilleurs pays du monde). Selon des critères de
satisfaction tels que la prospérité, la démocratie, la compétitivité
économique, la coopération sociale, la conscience écologique ou
encore l’honnêteté, la palme revient indéniablement aux pays
nordiques européens. Mais d’autres critères ont également été pris en
compte – l’Etat, la vie sociale, les affaires, la science, les arts –
et les pays ont été classés selon l’élément qui leur est le plus
favorable. Ainsi le meilleur pays quand on est jeune serait la
Turquie, du fait des structures des grandes villes, de la moyenne
d’ge de la population (25 ans) et du mode de vie, tandis que le
meilleur pour exprimer sa fibre artistique serait l’Allemagne. Et
sans surprise, pour s’enrichir, il faut vivre aux Etats-Unis.
Si l’on est déprimé, il faut être Argentin, car cette population
compte la plus grande concentration de psychothérapeutes par
habitant. Ainsi, rien qu’à Buenos Aires, ils sont 15 000. En France,
il vaut mieux être musicien puisque les infrastructures permettent de
lancer une carrière plus rapidement qu’ailleurs selon l’hebdomadaire,
qui fait remarquer qu’en juillet, les albums du top 10 des meilleurs
ventes nationales étaient tous français. En conclusion, tous critères
confondus, le meilleur pays du monde est la Suède, suivie des
Etats-Unis et de la Norvège. La France est classée 7e.
Par ailleurs, le World Values Survey, une série d’études
interuniversitaires menée par un réseau international de sociologues,
a évalué “les pays où les habitants sont le plus heureux”. Cette
étude a été menée par entretien avec des personnes issues d’un
échantillon représentatif de la population de plus de 60 pays, entre
1999 et 2001. L’objet ici n’est pas la satisfaction mais bien l’état
de bonheur ou de joie (“happiness” en anglais, la langue d’étude),
évalué selon neuf critères :
– la tendance génétique à se sentir heureux,
– le mariage,
– le grand nombre d’amis,
– la limitation des attentes, des désirs ou des prétentions,
– faire du bien,
– la croyance,
– ne pas se comparer aux autres,
– mieux gagner sa vie,
– vieillir bien.
Les résultats, publiés par la prestigieuse revue scientifique
britannique New Scientist en juillet, montrent que les gens les plus
heureux n’habitent pas le meilleur pays du monde mais sont plutôt
dans l’hémisphère Sud. En tête, le Nigeria, suivi du Mexique, du
Venezuela, du Salvador et de Puerto Rico. Les moins heureux seraient
les Russes, les Arméniens et les Roumains. Les Etats-Unis sont
classés 16es et la Grande-Bretagne, 24e.
Cette conclusion ne fait malheureusement pas du Nigeria le nouvel
Eden, car ce pays reste l’un des plus pauvres de la planète. Mais
elle montre clairement qu’il n’y a pas de lien direct entre richesse
et bonheur puisque, selon cette même étude, la moyenne des personnes
se déclarant heureuses dans les pays industrialisés n’a pas évolué
depuis la seconde guerre mondiale, malgré une importante augmentation
des revenus. Ce qui a conduit les chercheurs à conclure que le désir
de biens matériels est un facteur inhibant du bonheur (“happiness
supressant”).
Les études du World Values Survey sont réalisées tous les quatre ans
et sont de plus en plus prises en compte par les gouvernements dans
leur politique intérieure. Les autorités britanniques ont même publié
en décembre des recommandations visant à augmenter le bonheur des
citoyens alors que le Bhoutan a déjà fait savoir que son “bonheur
intérieur brut” importait plus que son produit intérieur brut.
L’objectif ultime serait, bien sûr, que les gens les plus heureux
habitent le meilleur pays du monde…
Jean Fiawoumo