Le Figaro, France
21 septembre 2004
Les dérives autoritaires de l’ex-URSS
par Laure MANDEVILLE
Treize ans après l’effondrement du système communiste, la carte
politique de l’ex-URSS n’affiche pas vraiment des couleurs
démocratiques. Partout, à l’exception des trois pays Baltes qui ont
miraculeusement tiré leur épingle du jeu, le verrouillage du pouvoir
central exécutif se précise.
De Moscou à Astana, en passant par Minsk ou Tachkent, de petites
castes, issues des anciennes élites soviétiques converties au
capitalisme, ont remis la main sur les leviers de commande, avec la
ferme intention de ne plus les lcher. Après une brève période
libérale, au tournant des années 90, les élections y sont redevenues
des procédures formelles, dont le seul but semble être de parer le
pouvoir des nouveaux autocrates d’atours démocratiques. Gangréné par
la corruption, l’Etat prédateur, mais non protecteur, y a abandonné
les populations paupérisées à leur triste sort. Confortant les
bureaucraties et les services de renseignements héritiers du KGB, au
détriment d’une société civile quasi inexistante.
C’est le cas de la Russie, qui, après la libéralisation chaotique,
mais réelle, de l’ère gorbatchévienne et eltsinienne, s’est engagée
sous Poutine dans une voie nettement autoritaire, au nom d’une plus
grande efficacité économique.
Mais le verrouillage est encore plus spectaculaire en Asie centrale,
où les traditions autoritaires et claniques s’étaient toujours fort
bien accommodées du communisme soviétique. Le Tadjik Rakhmonov,
l’Ouzbek Karimov et l’ubuesque président turkmène Niazov tiennent
leurs républiques d’une main de fer, réprimant férocement tout germe
d’opposition, au nom, notamment, de la lutte contre le terrorisme
islamiste. Considéré comme le plus présentable des régimes d’Asie
centrale, le Kazakhstan n’en est pas moins totalement contrôlé depuis
quinze ans par le président Noursoultan Nazarbaïev, face auquel
seule… sa fille peut prétendre faire figure d’opposition, les
autres partis restant largement décoratifs ! Autoritarisme et
népotisme se portent aussi très bien au Kirghiztan, en Moldavie, en
Arménie et Azerbaïdjan, où le fils Aliev s’est aisément coulé dans le
siège de son père Gueïdar, en octobre dernier. En Biélorussie, où un
scrutin législatif est prévu mi-octobre, le dictateur Alexandre
Loukachenko mijote un changement constitutionnel qui lui permettrait
de se faire réélire en 2005.
Et puis il y a le tableau de la campagne électorale ukrainienne pour
la présidentielle du 31 octobre. Dans ce dernier pays, sur lequel
l’Occident a les yeux fixés, vu sa taille et son importance
stratégique sur la frontière orientale de l’UE, les jeux ne sont pas
encore faits, mais l’équipe au pouvoir du président Koutchma semble
prête à tout tenter pour garder le contrôle du pays. Ce week-end, le
chef de l’opposition Viktor Iouchtchenko, actuellement crédité de 5 à
10 % d’avance sur le premier ministre Viktor Ianoukovitch, a dû être
hospitalisé à Vienne en urgence, après avoir absorbé des substances
chimiques toxiques. Son entourage a accusé le pouvoir ukrainien
d’avoir tenté de l’empoisonner… Alors que les observateurs du
Conseil de l’Europe ont exprimé récemment leur vive préoccupation,
les deux tiers des Ukrainiens estiment que les résultats du scrutin
seront falsifiés.
Seule la petite Géorgie a pour l’instant réussi à promouvoir de
nouvelles élites, lors de la fameuse révolution de la rose de
décembre 2003, qui a porté au pouvoir le jeune président Mikhaïl
Saakachvili. Ce précédent a d’ailleurs frappé de stupeur les autres
dirigeants des ex-républiques soviétiques, bien décidés à tout faire
pour ne pas subir le sort du vieux président géorgien Edouard
Chevardnadze.