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Les Echecs en quete d’un roi

Le Monde, France
25 septembre 2004

Les échecs en quête d’un roi

Le match qui va opposer en Suisse, à partir du samedi 25 septembre,
le Russe Vladimir Kramnik à son challenger hongrois Peter Leko marque
le début d’un processus de réunification du titre mondial

par Pierre Barthélémy

C’EST LA FIN d’une ère. Pour la première fois depuis 1984, un
championnat du monde d’échecs va se disputer sans le Russe Garry
Kasparov. Du 25 septembre au 18 octobre, la petite ville suisse de
Brissago, sur les rives du lac Majeur, attirera les regards de tous
les amateurs d’échecs, qui suivront la joute mentale que se livreront
le tenant du titre, le Russe Vladimir Kramnik, et son challenger, le
Hongrois Peter Leko. Ce match qui, à défaut d’opposer deux champions
spectaculaires, verra s’affronter les deux joueurs les plus
difficiles à battre de la planète constitue la première grande étape
vers la réunification du monde des échecs.

Depuis 1993, celui-ci est en effet coupé en deux, après que Garry
Kasparov, détenteur de la couronne mondiale à l’époque, a claqué la
porte de la Fédération internationale des échecs (FIDE) pour fonder
une organisation concurrente, la Professional Chess Association
(PCA). La PCA a fait long feu mais la plaie ne s’est toujours pas
refermée, ce d’autant plus que la FIDE, pilotée par le président de
la petite république russe de Kalmoukie, Kirsan Ilioumjinov, n’a pas
su prendre le tournant du professionnalisme tout en cumulant de
graves erreurs ( Le Monde du 12 mai). La dernière en date est d’avoir
monté son propre championnat du monde cet été à Tripoli, dans la
Libye du colonel Kadhafi, une compétition dont étaient exclus les
Israéliens et que la plupart des grands joueurs ont boycottée…

L’ACCORD DES « POIDS LOURDS »

Conscients que la désorganisation du haut niveau ne pouvait que leur
être nuisible, les poids lourds des échecs – Kirsan Ilioumjinov,
Garry Kasparov, toujours numéro un mondial au classement par points,
et Vladimir Kramnik – avaient pourtant signé, dès 2002 à Prague, un
accord visant à la réunification du titre. Schématiquement, ce texte
prévoyait que Vladimir Kramnik remette sa couronne en jeu contre un
challenger, tandis que, de son côté, la FIDE, qui dispose de son
propre champion (aujour-d’hui l’Ouzbek Roustam Kazimdjanov) était
censée opposer celui-ci à… Garry Kasparov, qualifié d’office en
raison de son classement.

Le Russe, qui rêve d’un glorieux chant du cygne, n’est donc pas
encore complètement sorti du paysage. Selon l’accord de Prague, les
vainqueurs des deux matches se seraient rencontrés ensuite pour
réunifier le titre, à l’instar de ce qui arrive fréquemment en boxe.

Mais, deux ans plus tard, rien de tout cela ne s’est passé. Pour la
communauté échiquéenne, l’enjeu du match de Brissago dépasse donc le
seul intérêt sportif puisqu’il lance réellement le processus de
réunification. Par ailleurs, comme le fait remarquer le grand maître
français Joël Lautier, qui préside le comité d’organisation de la
rencontre, celle-ci est « sponsorisée par une compagnie privée
parfaitement connue, Dannemann [marque suisse de cigares], et non par
des entités obscures telles celles auxquelles Ilioumjinov a fait
appel par le passé, ou même la société Braingames, qui avait été
créée ad hoc pour organiser le match Kasparov-Kramnik en 2000. C’est
un changement de tendance important. »

La FIDE a d’ailleurs compris où se trouvait son intérêt puisque,
après son championnat du monde de Tripoli, elle a rapidement lancé un
appel d’offres pour le match Kazimdjanov-Kasparov, qui pourrait se
jouer dès le début de 2005.

En attendant, pendant un peu plus de trois semaines, deux
intelligences vont s’opposer au-dessus de l’échiquier sur les bords
du lac Majeur et la confrontation s’an- nonce serrée. Respectivement
numéros 3 et 5 au classement mondial, Vladimir Kramnik et Peter Leko
ont, de l’avis de Joël Lautier, « la faculté de ne perdre que très
peu de parties dans une saison entière ».

Tous deux sont bien préparés : le premier a recruté une équipe
composée de ses amis grands maîtres Peter Svidler (russe, 9e joueur
mondial), Evgueni Bareïev (russe, 13e) et Miguel Illescas (espagnol,
87e), tandis que le second s’est entouré de son entraîneur et
beau-père, le grand maître arménien Arshak Petrossian, et de deux
autres confrères, Vladimir Akopian (arménien, 17e) et Vladislav
Tkatchiev (russe, 94e).

La clé du match pourrait bien être psychologique. Même si sa dernière
victoire contre Vladimir Kramnik date de 1998, Peter Leko constitue
la bête noire du champion russe, contre lequel il est le seul joueur
du top mondial à détenir un score positif. En revanche, une de leurs
dernières confrontations, en février au tournoi de Linares (Espagne),
a tourné à l’avantage du Moscovite, au cours d’une partie qui a fait
le tour de la planète échiquéenne. Vladimir Kramnik, qui menait les
Noirs, est venu à bout de Peter Leko après un fantastique sacrifice –
parfaitement calculé – de fou puis de tour. Le Russe a-t-il pour
autant vaincu le signe indien ? Lui qui a toujours eu du mal à
assumer le rôle de favori, va-t-il enfin prendre les risques que son
talent lui autorise ?

Quant à Peter Leko, qui n’a rien à perdre et dont tout le parcours
est tendu vers ce match, point culminant de sa carrière, pourra-
t-il, en seulement quatorze parties, triompher de celui que Garry
Kasparov, en 2000, n’avait pas réussi à battre une seule fois en
quinze rencontres ? Premiers éléments de réponse samedi 25 septembre,
lorsque le Hongrois, avec les Blancs, jouera son premier coup.

Hakobian Adrine:
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