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Le grand debat a l’Assemblee nationale sur l’adhesion de la Turquie

Le Temps, France
15 octobre 2004

Le grand débat à l’Assemblée nationale sur l’adhésion de la Turquie a accouché d’une souris;

FRANCE. Plus de vingt orateurs sont intervenus jeudi à l’Assemblée
nationale pour débattre de l’opportunité d’ouvrir les négociations
avec Ankara. Des semaines de polémiques et une discussion sans vote
arrachée au gouvernement n’ont abouti qu’à un débat sans passion
devant un hémicycle à moitié vide.

Y a-t-il un député français qui est favorable à une adhésion aussi
rapide que possible de la Turquie à l’Union européenne après le début
des négociations que décidera d’ouvrir, le 17 décembre prochain, le
Conseil européen? La réponse est non. Le débat de jeudi à l’Assemblée
nationale, obtenu de haute lutte par les députés de la majorité et de
l’opposition, n’a donné lieu à aucune empoignade entre les partisans
d’un oui enthousiaste et ceux d’un non ferme et définitif.
Jean-Pierre Raffarin a résumé l’opinion des 23 députés qui sont
intervenus après lui sans même les avoir entendus: «Ni l’Europe ni la
Turquie ne sont prêtes à [cette] adhésion.»

Durant tout l’après-midi, il n’a été question que de conditions et de
délais, quinze ans ou plus. Jean-Pierre Raffarin a rappelé que «la
demande d’adhésion de la Turquie n’est pas illégitime», en faisant
l’inventaire des démarches turques pour se rapprocher de l’Union
européenne depuis 1959, et en soulignant que la Turquie était déjà,
dans les années 1960, «un élément majeur de la politique
méditerranéenne et proche-orientale du général de Gaulle». Mais il a
ensuite énuméré les inconvénients de cette adhésion: «Risque de voir
l’ambition de l’Europe politique diluée dans un ensemble si vaste et
si disparate qu’il serait impossible d’avancer ensemble, risque
d’incompréhension entre deux mondes, deux cultures profondément
différentes.» «Face à ces deux objections et à d’autres encore,
a-t-il ajouté, nous ne pouvons répondre aujourd’hui, c’est pourquoi
il faut laisser du temps au débat et à la réflexion.»

Le premier ministre est cependant convaincu qu’«il est dans l’intérêt
de la France et de l’Europe d’avoir une Turquie stable, moderne,
démocratique qui partage nos valeurs et nos objectifs». «La Turquie
change parce qu’elle manifeste un vrai désir d’Europe. Laissons lui
du temps. […] L’histoire tranchera», a-t-il conclu avant de répéter
que la Commission européenne n’a donné qu’un «oui conditionnel», et
que plus tard, quand le moment sera venu, le peuple français sera
consulté par référendum.

La plupart des orateurs de l’opposition, même s’ils ont protesté
contre le fait que le débat d’hier n’était pas suivi d’un vote, ne
semblaient pas avoir d’objections majeures au discours consensuel et
prudent du premier ministre. «Claquer la porte devant la Turquie
serait interprété comme un manquement à la parole de notre pays, elle
a droit aux négociations», a dit le président du groupe socialiste à
l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault. Avant de poser une condition qui
s’adresse plus à l’Europe qu’au pays candidat: retrouver un moteur
politique qui évite que les nouveaux élargissements ne condamnent
l’Union à se diluer dans une simple zone de libre-échange sous
influence américaine. Quant aux députés de l’UMP, ils ont évité
soigneusement d’affronter le gouvernement et le président de la
République en transformant leur hostilité à l’adhésion en une
proposition de partenariat privilégié.

Est-ce parce que l’ensemble de la représentation nationale était
saisie par un syndrome de procrastination (de remise au lendemain)?
Le débat s’est déroulé sans passion, sans envolées, et surtout dans
un hémicycle plus qu’à moitié vide au début et presque désert à la
fin. Seul le député vert Noël Mamère a défendu clairement l’adhésion:
«Les Verts n’ont ni divisions ni états d’âme. Nous sommes pour,
résolument pour», a-t-il déclaré. Mais il a tout de même émis des
réserves. Il faudra, a-t-il expliqué, qu’avant l’adhésion proprement
dite le problème chypriote soit résolu et que la Turquie reconnaisse
le génocide arménien.

Il y avait aussi François Bayrou. Farouche adversaire de l’adhésion.
«Nous croyons que l’Union européenne est une unité politique en
construction. Or l’adhésion de la Turquie n’est pas un pas vers
l’unité de l’Europe, c’est un pas vers sa dispersion», a-t-il
proclamé. Mais encore la trahison de son unité culturelle: «L’Europe
est la rencontre la plus féconde que l’histoire ait jamais produite,
[…] entre Athènes, Rome et Jérusalem. Supprimez l’un des trois,
vous supprimez l’Europe.» Bien que les sondages montrent qu’une
majorité de citoyens sont hostiles à l’adhésion turque, François
Bayrou sait que sa position est minoritaire à l’Assemblée. Il tentera
donc seulement de freiner le processus et d’éviter qu’il soit
irréversible en demandant que la négociation porte à la fois sur la
possibilité d’adhésion et sur celle d’un partenariat privilégié.

Voilà donc un grand débat qui a accouché d’une souris. Sans doute en
raison des contradictions internes de la droite comme de la gauche.
Sûrement parce que les interrogations sur la perspective, même
lointaine, de l’adhésion turque révèlent l’étendue des questions non
résolues sur l’identité politique de l’Union européenne.

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