La Croix
29 octobre 2004
Prévenir les génocides. Un crime aggravé au XXe siècle.
Yves Ternon, Maître-assistant école d’architecture Paris-Val-de-Seine
TERNON Yves
Maître-assistant école d’architecture Paris-Val-de-Seine
La convention sur la prévention et la répression du crime de génocide
adoptée par les Nations unies, le 9 décembre 1948, définit cette
infraction par l’article 2 : .. . le génocide s’entend de l’un
quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel (suit une liste d’actes permettant une
interprétation très large du concept).
Cette définition, reprise par tous les textes de droit international
– en particulier par le statut de la Cour pénale internationale de
1998 -, sert de fondement à toute accusation et à toute condamnation
pour génocide. Raphaël Lemkin, qui forgea le mot génocide en 1944,
écrivait alors : Si le mot est nouveau, la pratique est ancienne. Il
y eut en effet des génocides dans le passé, mais, au XXe siècle, ce
crime revêt un sens particulier : il est non seulement une forme
aggravée de crime contre l’humanité, mais l’expression suprême de la
criminalité des Etats. C’est dans ce sens que, au-delà du droit, les
spécialistes des sciences humaines le conçoivent.
La qualification de génocide est devenue l’enjeu de controverses
entre des victimes qui la réclament et des coupables qui la récusent.
Historiens et sociologues s’accordent cependant pour exiger que l’on
ne saurait parler de génocide si quatre critères ne sont pas réunis :
la victime est un groupe humain ; les membres de ce groupe sont tués
en raison de leur appartenance au groupe ; la destruction est un
meurtre et porte sur une part substantielle du groupe ; enfin,
l’intention est délibérée, un plan a été concerté. Ces chercheurs
sont unanimes pour reconnaître qu’au XXe siècle, trois meurtres de
masse furent des génocides : le génocide des Arméniens ottomans au
cours de la Première Guerre mondiale ; le génocide des juifs d’Europe
au cours de la Seconde Guerre mondiale ; le génocide des Tutsis au
Rwanda en 1994.
D’autres meurtres collectifs font encore l’objet de débats sur la
qualification du crime : la famine en Ukraine soviétique en 1932-1933
; la mise à mort des Tsiganes d’Europe par les nazis ; les crimes des
Khmers rouges au Cambodge.
Cette conclusion se fonde exclusivement sur l’état des recherches.
Elle ne constitue pas une mise en hiérarchie des malheurs et elle ne
saurait entretenir une concurrence des victimes. Génocide ou autre
crime contre l’humanité, la sentence n’est pas rendue à l’aune de la
souffrance ou de la cruauté. Les travaux sur le crime de génocide
permettent seulement aux chercheurs d’en appréhender la complexité et
d’en percevoir les mécanismes communs. Pour nommer génocide un
événement, il faut être en mesure de douter de l’emploi de ce mot
pour d’autres événements et de pouvoir comparer les circonstances de
perpétration des meurtres de masse.
Peut-on prévenir un génocide ? Le propos paraît contradictoire :
comment prévenir un crime qui n’est qualifiable que lorsqu’il est
perpétré ? Il serait préférable de ne pas avoir à se poser la
question. On le préviendrait en connaissant les nombreuses étapes
parcourues avant même que l’idée ne germe.
Prévenir un génocide, c’est d’abord abaisser le seuil de tolérance
des violations des principes élémentaires du droit naturel, et c’est
toujours avant une guerre ou une révolution que cette prévention a
valeur d’un vaccin. Plus tard, c’est tout au plus un sérum, trop
souvent un traitement palliatif. Quand des massacres ont commencé et
que les nations se demandent s’il s’agit ou non d’un génocide, la
décision d’intervention n’est pas seulement prise pour des motifs
humanitaires, mais aussi en fonction de la puissance de l’Etat
criminel.
L’ONU est intervenue en 1998 au Timor-Oriental et a probablement
prévenu un génocide, en 1999, au Kosovo, où l’on sait maintenant
qu’il n’y avait pas de menace de génocide. Le fera-t-elle au Darfour
? Au rythme où les hommes y meurent quotidiennement, mieux vaudrait
intervenir et constater plus tard qu’il ne s’agissait pas d’un
génocide que tarder à le faire comme ce fut le cas au Rwanda en 1994,
où les Tutsis étaient, et on le savait, victimes d’un génocide.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress