Dissonances sur la Turquie dans la classe politique Francaise

libération, France
mardi 14 décembre 2004

Dissonances sur la Turquie dans la classe politique française

PARIS – Le dossier de l’adhésion turque à l’Union européenne trouble
la classe politique française où le scepticisme prévaut, y compris
dans le camp de Jacques Chirac.

Si le président de la République a toujours défendu l’idée d’une
Turquie européenne, l’UMP et l’UDF se sont prononcées contre. Ce qui
n’empêche pas les dissonances internes.

Le nouveau président de l’UMP et ancien ministre de l’Economie
Nicolas Sarkozy s’est toujours dit opposé à l’entrée de la Turquie
dans l’Union. Tout comme le député UMP Alain Madelin, qui juge
Jacques Chirac “assez isolé” dans sa posture pro-turque, partagée par
les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, Dominique de
Villepin et Michel Barnier.

L’ancien Premier ministre Edouard Balladur, qui préside la commission
des Affaires étrangères à l’Assemblée, a prôné un débat “serein” sur
cette question et souhaité que le Conseil européen de Bruxelles,
jeudi et vendredi, prenne la décision d’étudier “une série de
formules”.

Quant à l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing,
il s’est déclaré “personnellement contre l’entrée de la Turquie dans
le système européen” mais souhaite “des relations de très bon niveau”
avec ce pays.

C’est un “non” ferme et définitif du côté du président du Front
national Jean-Marie Le Pen, pour qui la Turquie n’est tout simplement
“pas un pays européen” mais “asiatique”.

Quant aux souverainistes, résolument hostiles à une Turquie
européenne, ils ont fait de ce débat une affaire personnelle.

Pour Philippe de Villiers, “l’immense question” turque pèsera sur le
référendum sur la Constitution européenne prévu l’an prochain en
France. Le président du Mouvement pour la France en est convaincu :
ce scrutin sera “aussi un vote sur l’entrée de la Turquie”.

AU PS, FABIUS CONTRE, HOLLANDE POUR

Bien qu’hostile à l’adhésion d’Ankara, le président de l’UDF François
Bayrou a insisté au contraire pour que l’on “sépare la question de
l’adhésion de la Turquie de la question du référendum” afin d’éviter
tout “amalgame”.

A gauche, la question agite le Parti socialiste, qui a toujours
insisté sur la reconnaissance par Ankara du génocide arménien de
1915, le respect des droits de l’homme et le règlement de la question
chypriote.

“Pour le Parti socialiste, l’ouverture des négociations ne doit pas
présager de la forme de participation de la Turquie à l’Union
européenne”, déclarait lundi Julien Dray, le porte-parole du
principal parti d’opposition français.

Chef de file des opposants socialistes au projet de traité
constitutionnel, l’ancien Premier ministre Laurent Fabius s’est dit
hostile à l’adhésion de la Turquie, à laquelle le premier secrétaire
du PS François Hollande est, lui, favorable.

“Pour moi, la question n’est pas l’appartenance de l’immense majorité
des Turcs à la religion musulmane, c’est l’état de la démocratie dans
ce pays, les droits de l’homme et la laïcité”, a estimé pour sa part
le maire PS de Paris Bertrand Delanoë, pour qui l’entrée d’Ankara
dans l’UE “doit dépendre des réponses apportées à ces seules
questions”.

Chez les Verts, le “oui” à l’entrée de la Turquie semble unanime.
L’ancienne secrétaire générale du parti écologiste Dominique Voynet y
voit l’occasion de faire de l’Europe “le seul espace” à même de
“contrer l’hyperpuissance américaine”.

Sa secrétaire nationale Marie-George Buffet en tête, le Parti
communiste dit également “oui” à la Turquie.

A l’extrême gauche, la porte-parole de Lutte ouvrière Arlette
Laguiller s’est prononcée “pour la suppression des frontières, y
compris avec la Turquie”.

A l’Assemblée nationale, un débat sur le dossier turc a été organisé
à la mi-octobre. Une autre discussion aura lieu au Palais-Bourbon
après le Conseil européen de Bruxelles.