Le Monde, France
mardi 14 décembre 2004
Les eurodéputés s’acheminent vers le “oui” à la Turquie
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Un débat organisé lundi soir a néanmoins séparé le camp des
partisans, espagnols et britanniques, pour qui l’adhésion est “une
question de conscience”, des députés français ou grecs qui craignent,
en cas d’adhésion de la Turquie, une métamorphose de l’Europe en
“organisation mondiale du commerce euro-asiatique”.
Les eurodéputés devraient voter à une nette majorité, mercredi 15
décembre, en faveur de l’ouverture de négociations d’adhésion avec la
Turquie. Mais un débat, organisé lundi soir 13 décembre, a confirmé
des clivages nationaux que l’on retrouve dans la population
européenne.
Le Parlement se prononcera, mercredi, sur le rapport du député
conservateur néerlandais, Camiel Eurlings, et ses quelque 80
amendements, un avis cependant consultatif car la décision finale
appartient aux chefs d’Etat et de gouvernement qui se réuniront jeudi
et vendredi à Bruxelles.
Suivant une ligne semblable à celle arrêtée par la Commission
européenne, le rapport préconise l’ouverture “sans délai inutile” des
négociations avec Ankara, tout en énumérant les conditions restant à
remplir, notamment la reconnaissance de Chypre et “une tolérance
zéro” contre la torture.
Soulignant que les négociations sont “un processus ouvert et qui ne
conduit pas automatiquement à l’adhésion”, le texte n’envisage pas,
dès à présent, d’alternative à l’adhésion, comme le “partenariat
privilégié” réclamé par les droites française et allemande. “Nous
devons envoyer un signal fort à la Turquie : saisissez cette chance.
Mais aussi un autre signal fort : nous suivrons les réformes”, a
commenté M. Eurlings, “très impressionné par les réformes en Turquie
où, davantage d’événements ont eu lieu ces dernières années que dans
les quarante précédentes”.
Si M. Eurlings est suivi au sein du Parti populaire européen par les
députés espagnols, italiens ou britanniques, il est en revanche
critiqué par les Allemands de la CDU ou les Français de l’UMP, une
diversité d’avis à l’image des sensibilités différentes des opinions
publiques dans l’Union européenne.
“CRIME” OU “CONTRIBUTION À LA PAIX”
“L’adhésion de la Turquie est une question de conscience ou
quasiment, donc nous acceptons que tout le monde vote en toute
conscience”, a souligné le leader du Parti populaire européen (PPE),
l’Allemand Hans-Gert Poettering. “Nous allons négocier avec un pays
qui viole massivement les droits humains”, a-t-il cependant dénoncé,
relevant que “s’il n’y a plus de torture systématique en Turquie, il
y a encore de nombreux cas de tortures”.
“Faire entrer la Turquie dans l’UE, c’est accepter le risque que
l’Europe se transforme en une organisation mondiale du commerce
euro-asiatique, sans pouvoir et sans puissance”, a renchéri le
Français Jacques Toubon.
Pour Bernard Lehideux (UDF), qui siège au sein du groupe libéral et
démocrate, “il faudra bien que l’UE se fixe un jour des frontières,
sinon elle va s’étendre comme une tache d’huile, sans objectif
politique”.
De son côté, le ministre des affaires étrangères français, Michel
Barnier, a souhaité que, pendant le processus de négociations, la
Turquie reconnaisse le génocide arménien, mais que cette
reconnaissance ne soit “pas une condition” d’adhésion d’Ankara.
Les courants souverainistes et d’extrême droite se sont, eux,
indignés sur le thème d’un “pays islamiste” et “qui n’est pas dans
l’Europe”. Pour le nationaliste grec Georgios Karatzaferis, ce serait
ainsi “un crime que d’accepter la Turquie dans l’Europe”.
L’addition de ces “non” est cependant nettement minoritaire au sein
de l’assemblée européenne, face au “oui” des socialistes, des Verts
et d’une bonne moitié des conservateurs et des libéraux. “Tous ceux
qui défendent les droits humains en Turquie nous disent que les
perspectives d’adhésion ont modifié ce pays et en font une démocratie
parlementaire”, a défendu le chef du groupe socialiste, l’Allemand
Martin Schulz.
“En s’ouvrant à un pays laïque à majorité musulmane, l’Union
européenne donnerait un signe majeur de contribution à la paix et la
compréhension entre les peuples”, a ajouté le Français Michel Rocard,
jugeant même le rapport du Parlement européen “trop agressif” à
l’égard des conditions posées à Ankara.