Edicom, Suisse
mardi 14 décembre 2004
Les Européens s’apprêtent à entrouvrir leur porte à la Turquie
par Emmanuel Georges-Picot
BRUXELLES (AP) – Les Vingt-cinq devraient dire «oui» à l’ouverture en
2005 de négociations avec la Turquie en vue de son adhésion à l’Union
européenne lors de leur sommet de fin d’année, jeudi et vendredi à
Bruxelles.
Les chefs d’Etat et de gouvernement devraient cependant entourer ce
feu vert de garanties pour rassurer leurs opinions publiques
récalcitrantes. Ils devraient préciser pour la première fois dans
l’histoire des élargissements que le résultat des négociations, d’une
durée prévisible de 10 à 15 ans, restera «ouvert».
La décision que s’apprête à prendre le conseil européen, réuni à
partir de jeudi soir, est historique. La Turquie, pays de 71,3
millions d’habitants, musulman à 98%, serait le premier Etat-membre
de l’UE dont l’essentiel du territoire (97%) se trouve en Asie.
Le feu vert des 25, qui devraient suivre la recommandation faite le 6
octobre dernier par la Commission, marquera une étape décisive dans
les relations complexes qu’entretiennent depuis toujours l’Europe et
la Turquie. Depuis Mustapha Kemal, père de la Turquie moderne,
Ankara, dotée d’un statut d’association depuis 1963 et candidate
depuis 1987, a constamment aspiré à s’arrimer à l’Occident.
L’ouverture des négociations constituerait un succès pour le Premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan, qui a construit toute sa
politique sur l’adhésion à l’UE et attendra le verdict dans les
couloirs du btiment du conseil européen.
Mais ce désir d’intégration rencontre l’hostilité d’une partie de
l’opinion publique européenne. Selon un sondage Ifop publié lundi par
«Le Figaro», 67% des Français et 55% des Allemands sont opposés à
l’entrée de la Turquie, en raison de la situation des droits de
l’homme, des différences religieuses et culturelles ou du risque de
développement d’activités criminelles en Europe.
A l’inverse, 65% des Espagnols, 49% des Italiens et 41% des
Britanniques y sont favorables du fait des efforts engagés par la
Turquie pour se moderniser, de l’intérêt géopolitique de cet
élargissement et du risque d’une dérive islamiste en cas de refus.
Obligés de tenir compte de ces réticences, les Européens devraient
assortir leur feu vert de plusieurs garanties. Le projet de
conclusions rédigé par la présidence néerlandaise et soumis en début
de semaine aux ministres des Affaires étrangères stipule que »les
négociations d’adhésion sont un processus ouvert dont l’aboutissement
ne peut être garanti à l’avance».
A tout moment, un membre de l’UE pourra interrompre les discussions.
Il sera également possible de suspendre les négociations par un vote
à la majorité qualifiée du conseil européen.
A la différence des élargissements précédents, l’UE va contrôler sur
le terrain l’application des réformes votées par le Parlement turc
pour se mettre en conformité avec les 80.000 pages de l’acquis
communautaire.
Le dossier de Chypre, île divisée depuis 1974 entre le sud pro-grec
et le nord pro-turc, devra également être résolu. Les Européens
devraient exiger vendredi un engagement de M. Erdogan de signer le
protocole étendant l’union douanière aux 10 nouveaux membres de l’UE,
ce qui constituerait une reconnaissance de facto du gouvernement
chypriote grec.
La France, soutenue par l’Autriche, le Danemark et la Slovaquie,
souhaite aller plus loin. Jacques Chirac, personnellement favorable à
l’adhésion turque mais en porte-à-faux avec son opinion publique et
ses propres amis politiques, demande que soit mentionné la
possibilité d’un «lien fort» entre l’UE et la Turquie s’il apparaît
pendant les négociations qu’Ankara n’est pas en mesure de remplir les
critères d’adhésion. La grande majorité des délégations, dont
l’Allemagne, refusent que cette alternative figure dans le texte.
Paris demande en outre que les négociations ne débutent pas avant le
deuxième semestre 2005. Mais la Turquie ne veut pas en entendre
parler, et exige que les pourparlers s’ouvrent «sans délai», selon la
promesse faite par les Européens en décembre 2002 à Copenhague.
La France a également ressorti lundi la question de la
non-reconnaissance par Ankara du génocide arménien de 1915. Le
ministre des Affaires étrangères Michel Barnier a cependant précisé
mardi qu’il ne s’agissait pas d’une «condition» à l’ouverture des
négociations mais d’une «question» à résoudre au cours du processus.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress