Le Figaro, France
mardi 14 décembre 2004
UNION EUROPÉENNE Michel Barnier a annoncé hier à Bruxelles que la
France demandera officiellement à la Turquie de reconnaître le
génocide arménien
Turquie : Paris ressort la question arménienne
Alors que les ministres des Affaires étrangères des pays membres de
l’Union européenne (UE) ont poursuivi leurs tractations avant le
sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, jeudi et vendredi, sur
l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie, Paris a
relancé hier le dossier arménien. A Bruxelles, Michel Barnier, le
chef de la diplomatie française, a annoncé que la France demandera à
la Turquie de «reconnaître la tragédie arménienne du début du
siècle». Cette requête officielle sera formulée au cours des
négociations d’adhésion avec Ankara.
Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
[14 décembre 2004]
Michel Barnier, hier à Bruxelles, en compagnie du haut représentant
pour la politique étrangère de l’UE, Javier Solana. «Il faut être
sincère: notre but, c’est que les négociations réussissent. Et
qu’elles aboutissent à l’adhésion», a insisté le ministre des
Affaires étrangères français.
(Photo AFP)
A trois jours du sommet européen consacré à la Turquie, la France
passe à l’offensive sur le dossier arménien. Lors d’une rencontre
avec ses homologues européens, hier à Bruxelles, Michel Barnier a
annoncé que la France demanderait à la Turquie de «reconnaître la
tragédie arménienne du début du siècle». Paris formulera sa requête
officielle au cours des négociations d’adhésion avec Ankara. «Cela
fait partie des bonnes relations que la Turquie doit établir avec ses
voisins», a expliqué le chef de la diplomatie française. «Le projet
européen est fondé depuis cinquante ans sur la réconciliation. C’est
ainsi qu’il a été conçu par la France et l’Allemagne, a-t-il ajouté.
La Turquie devra faire ce travail de mémoire et reconnaître cette
tragédie arménienne, le moment voulu.»
La France n’avait jamais formulé un lien aussi clair entre le
génocide arménien et les pourparlers d’adhésion avec la Turquie. Et
pour cause : ce sujet, brûlant pour Ankara, ne figure pas au nombre
des «critères de Copenhague» à respecter pour ouvrir les négociations
d’adhésion avec Bruxelles. Mais les parlementaires français, parmi
les premiers en Europe à reconnaître le génocide arménien, ont
toujours estimé qu’il s’agissait d’un préalable indispensable au
déclenchement des pourparlers avec la Turquie. «un préalable
incontournable», «on ne construit pas la paix et la réconciliation
sur le sacrifice de la mémoire d’un peuple vieux de plus de trois
mille ans».
Avant de donner son feu vert, vendredi, à l’ouverture des
négociations avec Ankara, Jacques Chirac cherche à donner des gages
aux élus de droite comme de gauche, hostiles dans leur majorité à
l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.«La grande majorité de
l’UMP, la moitié des socialistes et la totalité du groupe centriste
sont contre l’adhésion : cela fait beaucoup, a rappelé Michel
Barnier. Cela pose évidemment un problème car le président de la
République, lui, a sa vision : il estime important que la Turquie
fasse partie de l’Union européenne.» Dans un souci d’apaisement avec
le Parlement, contrarié de ne pas être consulté avant le sommet
européen, Jacques Chirac a décidé de jouer la carte arménienne. Une
carte politique sans risque à Bruxelles. «Dans la mesure où l’affaire
arménienne ne figure pas dans les conclusions du sommet, nous n’avons
rien à dire. C’est une promesse verbale à destination de l’opinion
française qui ne regarde pas l’Union européenne pour l’instant»,
commentait hier un diplomate britannique.
Pour le reste, Ankara peut se rassurer. La France restera fidèle à
ses engagements. A Bruxelles, elle a encore plaidé hier pour
l’adhésion de la Turquie, refusant d’évoquer un «partenariat
privilégié», ou toute autre voie de garage, si les négociations
devaient échouer. «Il faut être sincère : notre but, c’est que les
négociations réussissent. Et qu’elles aboutissent à l’adhésion,
insiste Michel Barnier. Mais ce résultat que nous souhaitons n’est
pas inéluctable. Il faut donc prévoir l’hypothèse et garantir, en cas
d’échec, un lien très fort de la Turquie avec la structure
européenne.» C’est aussi en ces termes que Jacques Chirac s’est
adressé hier au premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende,
qu’il recevait à l’Elysée, martelant le souhait de la France de nouer
un «lien fort» avec Ankara au cas où les négociations échoueraient.
Le chef de la diplomatie française s’est cependant bien gardé hier de
qualifier cette «autre option» qui ne serait pas l’adhésion claire et
nette. Toute autre solution, il le sait, serait immédiatement rejetée
par les Britanniques et les Allemands. Les Vingt-Cinq se sont déjà
mis d’accord pour mentionner un «processus ouvert dont
l’aboutissement n’est pas garanti à l’avance», sans aller plus loin
pour ne pas fcher la Turquie.
«Notre but, c’est l’adhésion pleine et entière, a affirmé Joschka
Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères. A mon sens,
toute édulcoration de cet objectif entraînerait l’interruption du
processus de réformes en Turquie.» Jack Straw, le chef du Foreign
Office, ne dit pas autre chose : «Ce que nous visons, c’est
l’adhésion et rien d’autre.» A ce jour, seule l’Autriche fait encore
de la résistance. Vienne préférerait un partenariat privilégié à
l’adhésion, mais, sans le soutien de Paris, elle se retrouve
totalement isolée. Ni l’Autriche ni Chypre n’ont l’intention d’user
de leur droit de veto au sommet européen.
Hier, le ministre chypriote a répété qu’il souhaitait que la Turquie
annonce une date pour la signature des accords d’Ankara. Adaptés à
l’Europe élargie, ces accords aboutiront à la reconnaissance de facto
de la République de Chypre par les Turcs. La Turquie a promis un
«signal» d’ici à jeudi soir, avant le dîner des chefs d’Etat et de
gouvernement. Dès lors, rien ne s’opposera plus au feu vert unanime
des Vingt-Cinq au démarrage des négociations avec la Turquie à partir
du second semestre 2005.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress