A Ankara, Debre et PM turc on overt dialogue sans concession

Le Monde, France
samedi 5 FĂ©vrier 2005

A Ankara, Jean-Louis Debré et le premier ministre turc ont ouvert un
dialogue sans concession

Le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale effectue, depuis le 3 fĂ©vrier,
une visite de trois jours en Turquie. Il est accompagné des quatre
présidents de groupe parlementaire.
Ankara de notre envoyé spécial

En l’espace de quelques jours, deux Français ont eu, cette semaine,
les honneurs de la presse turque. Celle-ci a d’abord consacrĂ© ses
titres au transfert de Nicolas Anelka, qui vient de signer pour trois
ans au club de football de Fenerbahce. Elle a ensuite commenté
l’arrivĂ©e, jeudi 3 fĂ©vrier, du prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale,
Jean-Louis Debré, accompagné des présidents des quatre groupes
représentés au Palais-Bourbon, Bernard Accoyer (UMP), Hervé Morin
(UDF), Jean-Marc Ayrault (PS) et Alain Bocquet (PCF).

Cette visite intervient alors qu’aucun prĂ©sident de la RĂ©publique
française n’est venu en Turquie, depuis la visite de François
Mitterrand, en 1992. Le dernier déplacement effectué par un membre du
gouvernement remonte Ă  2003.

Au cours de leur séjour de trois jours à Ankara puis à Istanbul, les
parlementaires français ont rencontré les principales autorités
turques, mais aussi des représentants des milieux économiques,
d’organisations non gouvernementales ainsi que le patriarche armĂ©nien
Mesrob II. “Il faut se dire la vĂ©ritĂ©. Nous avons Ă  vous Ă©couter,
vous avez Ă  nous entendre”, a insistĂ© M. DebrĂ©, pour qui “toutes les
questions sont lĂ©gitimes”. Et toutes – Chypre, droits de l’homme,
rĂ©formes dĂ©mocratiques, ArmĂ©nie – auront Ă©tĂ© abordĂ©es, sans
ménagement.

Au premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan – qui Ă©tait venu
plaider Ă  Paris, en juillet 2004, la cause de son pays en vue de
l’ouverture d’un processus d’adhĂ©sion Ă  l’Union europĂ©enne -, M.
DebrĂ© a expliquĂ© que l’attitude de la Turquie Ă  l’Ă©gard du gĂ©nocide
armĂ©nien constituait un “vrai problĂšme en France”. “Je suis déçu de
la France… Je ne savais pas que 400 000 ArmĂ©niens pouvaient faire
Ă©chouer un rĂ©fĂ©rendum”, lui a rĂ©pondu M. Erdogan.

MalgrĂ© la vivacitĂ© de cet Ă©change, M. DebrĂ© a estimĂ© avoir “peut-ĂȘtre
fait `uvre utile sur la question armĂ©nienne”. En effet, les autoritĂ©s
turques se sont dites prĂȘtes Ă  “Ă©tudier” la proposition d’une
commission internationale d’historiens qui ait accĂšs Ă  l’ensemble des
archives.

La délégation française a pu mesurer combien la décision prise par
Jacques Chirac d’ajouter une clause soumettant Ă  rĂ©fĂ©rendum toute
adhĂ©sion d’un nouveau pays Ă  l’Union avait pu ĂȘtre ressentie comme
“blessante”. “Pourquoi cette double norme ?”, a demandĂ© un
journaliste d’Ankara, lors de la confĂ©rence de presse qui a suivi la
rencontre avec le président de la Grande Assemblée nationale turque,
BĂŒlent Arinç. “La France a procĂ©dĂ© ainsi Ă  chaque fois qu’il s’est
agi de transformer la nature de l’Union europĂ©enne ou d’en changer
ses frontiĂšres”, a rĂ©pondu M. DebrĂ©.

POSSIBLE ÉVOLUTION DE L’UMP

Pour ses quatre collÚgues parlementaires, une conviction se dégage :
quelle que soit l’issue des nĂ©gociations avec l’Union europĂ©enne qui
s’ouvriront le 3 octobre, le processus ne peut avoir que des
consĂ©quences positives.”Il contribuera Ă  mettre du carburant dans le
moteur de la dĂ©mocratie turque”, estime le prĂ©sident du groupe PS,
Jean-Marc Ayrault. Alain Bocquet (PCF) pense qu’il faut encourager
cette “envie d’Europe”. “Sinon, ajoute-t-il, il ne faut pas
sous-estimer les risques de dérive militariste, de dérive islamiste
ou de dĂ©rive atlantiste.” Son collĂšgue de l’UMP, Bernard Accoyer, va
mĂȘme jusqu’Ă  Ă©voquer une possible “Ă©volution” de son parti, qui a
retenu, le 9 mai 2004, la formule d’un “partenariat privilĂ©giĂ©” avec
la Turquie. “S’il s’avĂ©rait que ce pays, qui a beaucoup bougĂ© et qui
a déjà réalisé des réformes de grande ampleur, répondait aux critÚres
de l’adhĂ©sion, pourquoi pas ?”, prĂ©cise M. Accoyer. Seul HervĂ© Morin
(UDF) reste convaincu que l’avenir de la Turquie ne se confond pas
avec l'”identitĂ© europĂ©enne”.

Quant Ă  M. DebrĂ©, il ne manque pas d’adresser, d’Istanbul, un message
en direction de “ces hommes politiques qui s’amusent Ă  faire peur aux
Français”, dĂ©signant nommĂ©ment Nicolas Sarkozy et François Bayrou,
hostiles Ă  l’entrĂ©e de la Turquie dans l’Union europĂ©enne. “Ce sont
des aventuriers”, lche-t-il.

Patrick Roger