Paris-Normandie
23 avril 2005
La communauté mobilisée pour l’anniversaire du génocide ; A
Alfortville, les Arméniens se souviennent
par Bogatay Sophie
La communauté arménienne, très présente en Ile-de-France, célèbre le
90e anniversaire du génocide perpétré par les Turcs. La douleur reste
vivace.
Ils ont tranché la gorge de mon grand-père devant les yeux de son
propre père. 90 ans après le génocide, Ani Okhkian, professeur
d’arménien à Alfortville (Val-de-Marne), raconte avec colère le
terrible sort de sa famille.
7.000 arméniens vivent aujourd’hui dans cette ville qui borde Paris.
Une petite Arménie a pris corps autour de la discrète église
Saint-Paul et Saint-Pierre, btie en briques blanches en 1929 par les
premiers immigrés, quelques années après la fin des massacres qui ont
fait 1,5 million de morts selon Erevan, 300.000 à 500.000 pour
Ankara.
Une poignée de survivants
Dans le pavillon de Simon Okhkian, l’un des cinq frères d’Ani, la
télévision est branchée sur une chaîne arménienne. Le programme est
consacré exclusivement aux commémorations des 90 ans du génocide.
La famille Okhkian veut entretenir ses racines et le souvenir des
exactions commises par les Jeunes Turcs entre 1915 et 1916 en est un
des piliers. Il ne reste aujourd’hui qu’une poignée de survivants, se
désole Simon, un quinquagénaire fier de voir Armen, son fils de 5
ans, manier aussi bien le français que l’arménien.
Si la diaspora arménienne est unanime pour faire de la reconnaissance
du génocide un préalable indiscutable à l’entrée de la Turquie dans
l’Union européenne, certains y ajoutent d’autres conditions.
Sur l’un des murs des Okhkian, une grande carte montre ainsi les
contours de l’ancienne Arménie et celle d’aujourd’hui, ramenée à la
portion congrue après le partage de 1920 entre Turcs et Russes.
Ils attendent réparation
Toute cette partie doit revenir à l’Arménie, explique Simon en
désignant le sud-est de la Turquie d’aujourd’hui et d’où des milliers
d’Arméniens ont été déportés à partir de 1915.
Cette revendication territoriale accompagnera automatiquement la
reconnaissance du génocide par la Turquie, se persuade le père de
famille. Après seulement, la Turquie pourra rentrer dans l’Europe,
ajoute-t-il estimant que le travail de mémoire se fera grce à
l’ouverture des frontières.
Ce qu’il faut, c’est une véritable réhabilitation de l’histoire et
non pas seulement une reconnaissance opportuniste, soutient Hasmig
Nadirian Kevodian, directrice de la maison de la culture arménienne
dans la même ville.
Mme Nadirian, dont la grand-mère était la seule survivante d’une
famille de 75 personnes, évoque ces monastères devenus hôtels de
passe ou ces cimetières traversés par des routes ne menant nulle
part, autant de réparations qu’elle attend des Turcs. Les mères
turques devront aussi expliquer à leurs enfants ce qui s’est
réellement passé, conclut-elle.
Ani semble, elle, définitivement opposée à l’adhésion de la Turquie à
l’UE. Je n’ai plus confiance, dit la sexagénaire hantée par les
souvenirs d’horreur racontés par sa tante paternelle, la seule parmi
sept soeurs à être restée en vie. Les six autres ont été empoisonnées
par leur mère à l’arrivée des Turcs, raconte-t-elle, bouleversée.
Elle s’est ensuite donnée la mort.