Le Figaro, France
23 avril 2005
Film de quartier; «Les Mauvais Joueurs» de Frédéric Balekdjian
Dans le quartier du Sentier à Paris, Vahé vit d’expédients et de
petits trafics avec son frère Toros et son copain Sahak. Mais les
arnaques au bonneteau et le profit des ateliers clandestins ne
peuvent sauver la boutique de tissus de son père ou retenir sa
compagne Lu Ann en train de le quitter. Sa vie est un échec et une
série de compromissions qui vont exploser avec l’arrivée de Yuen, le
frère de Lu Ann, qui va l’obliger à remettre en cause la fidélité à
ses amis et, plus loin, la valeur fragile de son existence. Le jeu de
bonneteau entouré de visages curieux et méfiants, les rues
grouillantes d’une faune inquiétante, l’atmosphère besogneuse et
feutrée des ateliers clandestins, c’est d’abord une atmosphère que
respire le premier film de Frédéric Balekdjian. Entre le polar et
l’étude de milieu, il a placé un trentenaire indécis et insatisfait
qui regarde le monde qui l’entoure, les petits truands qui se
démènent, les minables magouilles, la violence urbaine et, au-delà,
la vie d’une communauté, les Arméniens, et d’un quartier, celui du
Sentier, qu’il semble connaître comme sa poche. Il ne faut donc pas
s’attendre à un suspense tendu, à une action trépidante ou à des
tensions psychologiques. Les Mauvais Joueurs, son petit peuple
d’immigrés, son climat poisseux et affairé, a d’abord pour vedette un
lieu coloré, attachant et menaçant puis le visage désabusé et perdu
de Pascal Elbé, jeune homme qui cherche autre chose en se cherchant
lui-même au milieu de ses mauvaises habitudes, des clans, des
copains, des coquins.
Avec quelques longueurs, une nonchalance qui veut s’attarder sur des
détails ou sur le néant d’une vie, le film poursuit lentement son
chemin jalonné d’éclairs de violence. Ce n’est pas le Sentier de la
guerre mais plutôt celui du naufrage et d’un certain malaise que l’on
ressent, impalpable et insidieux comme un désespoir existentiel plus
profond et moins avouable. Pour ceux qui aiment regarder et méditer
avant l’orage. D. B.