Kirk Kerkorian, l’homme qui repart a l’assaut de General Motors

Le Figaro Économie
27 mai 2005

Kirk Kerkorian, l’homme qui repart à l’assaut de General Motors;
AUTOMOBILE Le milliardaire américain est sur le point de devenir le
premier actionnaire du géant de Detroit

Charles Gautier

Kerkorian revient ! Bon pied bon oeil, l’actif et svelte octogénaire,
à l’origine du mythe de Las Vegas, n’entend pas se ranger des
voitures. A Detroit, berceau de l’industrie automobile américaine où
les bonnes nouvelles sont plutôt rares ces derniers temps, l’intérêt
porté par le roi de Las Vegas, propriétaire de la MGM-Mirage, premier
groupe mondial de jeu possédant la moitié de la capacité hôtelière de
la capitale des bandits manchots, réjouit : si l’ancien actionnaire
de référence de Chrysler, l’un des hommes les plus riches des
Etats-Unis, s’intéresse encore à l’automobile, c’est assurément que
la capitale mondiale du secteur a encore de beaux jours devant elle.

Le retour dans l’automobile du « Lion tranquille » étonne. Le procès
houleux intenté à Daimler lors du rapprochement avec Chrysler (1)
laissait penser aux milieux financiers que Kirk Kerkorian prendrait,
à défaut de sa retraite, au moins ses distances avec cette industrie.
Une fois de plus, il a pris tout son monde à contre-pied en voulant
faire monter sa participation dans le capital du premier constructeur
mondial de 3,89 % à près de 10 %.

« C’est une bonne nouvelle car Kerkorian est un btisseur, pas un
destructeur ou un dépeceur d’entreprises, réagit un analyste de JP
Morgan, Philippe Houchois. Cette opération prouve que l’on peut
encore gagner de l’argent dans cette industrie. »

Une vraie dose de Prozac en quelque sorte, pour combattre la grosse
déprime qui s’est abattue sur Detroit où les principaux constructeurs
américains se lamentent avec des profits en berne, des ventes en
chute libre, et une dégradation de la dette de Ford et de GM.

C’est pourtant le moment qu’a choisi Kirk Kerkorian, pour se lancer
dans un massif ramassage de titres General Motors via son holding
Tracinda (voir encadré). L’homme a pour objectif de récupérer 28
millions d’actions pour 878 millions de dollars. Une paille. L’offre
de Tracinda, rendue publique le 4 mai dernier, doit expirer le 7
juin.

La veille, cet homme d’affaires hors norme fêtera son 88 e
anniversaire. La pugnacité de cet ancien boxeur professionnel
surnommé « Rifle right kerkorian » et cette longévité ne surprend pas
Line Renaud. La chanteuse est sans doute l’une des personnes qui le
connaît le mieux en France. La première rencontre organisée par son
agent, un Arménien comme Kirk Kerkorian, remonte au début des années
60.

« Kirk a toujours été un grand sportif, il a toujours aimé le tennis
et la marche, explique-t-elle. Il faisait de grandes séances de
jogging autour du terrain de golf du Desert Inn à Las Vegas. C’est
peut-être l’un des secrets de cette longévité. Il ne fume pas, il ne
boit parfois qu’un peu de vin rouge », explique encore la comédienne
qui a eu maintes fois l’occasion de le recevoir quand elle vivait en
Californie. Parfois même à l’occasion de réceptions privées en
l’honneur de Jacques Chirac.

Avant de faire parler de lui dans le jeu et l’hôtellerie, l’homme
d’affaires a engagé sa carrière au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale en lançant sa compagnie aérienne. Voler a toujours été sa
passion. « Kirk » s’est du reste distingué comme pilote de bombardier
au sein de la Royal Air Force. « J’aimais quand il me racontait
comment il retapait de vieux avions avec des pièces d’occasion, pour
les revendre ensuite. Il disait qu’à cette époque il avait à peine de
quoi ressemeler ses chaussures », se souvient Line Renaud.

Ces temps difficiles lui ont permis de jeter progressivement les
fondations de son empire. Il en gardera une forme de modestie et de
simplicité. De fait, il n’est ni un homme extravagant ni un ermite…
Rien à voir donc avec Howard Hugues dont il a eu pourtant un peu la
même trajectoire.

Son immense fortune, évaluée à 8 milliards de dollars, a réellement
prospéré sur la terre ferme, à coup de rachats de terrains à Las
Vegas. C’est sur ce sol hostile qu’il érige les hôtels aujourd’hui
les plus célèbres de la ville tels que le Flamingo, le MGM…

Discret, il n’aime pas accorder d’entretiens, recevoir de récompenses
ou prononcer des discours. Il est avant tout un homme de terrain qui
s’est toujours efforcé de s’entourer de la même équipe de
collaborateurs. Son sens des affaires est incontestable. Mais ce
n’est pas le seul ingrédient à l’origine de sa fortune…

« Bien entendu il a une énorme puissance de travail, mais cela ne
suffit pas, explique Line Renaud, c’est un M. 100 000 volts mais rien
ne transparaît sur son visage, cela ne se voit pas, il est calme,
presque timide. »

Certains habitués de Las Vegas estiment que cette impassibilité a
favorisé sa réputation de joueur de poker, capable de btir ou de
perdre des fortunes en une nuit. « En exagérant on pourrait dire que
pour lui faire des affaires c’est une forme d’art, explique Line
Renaud et qui assure, si les hommes d’affaires étaient à l’affiche
comme les artistes, il serait tout en haut… »

A Detroit on attend avec impatience le comportement du roi de Las
Vegas. Se contentera-t-il de surveiller son investissement où
voudra-t-il être plus actif dans la gestion de General Motors ?

A priori Kirk Kerkorian se défend de vouloir s’immiscer dans la
gestion. Mais Rick Wagoner, le président du constructeur, sait qu’il
aura au premier rang de ses actionnaires un homme qui connaît
parfaitement l’industrie automobile pour avoir, à l’époque de
Chrysler négocié avec le puissant syndicat de branche UAW. Un atout
de taille lorsque de nouvelles négociations se profileront. Après
tout, GM a perdu 1,1 milliard de dollars au premier trimestre
essentiellement en Amérique du Nord. Il est donc urgent d’agir. A 88
ans, Kirk Kerkorian n’a pas de temps à perdre.

(1) Kirk Kerkorian a été débouté début avril d’une plainte contre
DaimlerChrysler. L’homme d’affaires accuse le groupe automobile
d’avoir menti sur la nature de la fusion de Daimler-Benz avec
Chrysler en 1998. Il fait appel du premier jugement. Kerkorian
détenait à l’époque de la fusion 14 % du capital de Chrysler. Le
rapprochement entre les deux groupes aurait lésé les anciens
actionnaires du constructeur américain. Il réclame au total 1,2
milliard de dollars de dédommagements.