En Turquie, le code penal “europeen” suscite la fronde;

Le Figaro, France
01 juin 2005

En Turquie, le code penal ” europeen ” suscite la fronde;
Des risques pour la liberte d’expression

par Marie-Michèle Martinet

Le nouveau code penal turc, concu pour aligner la legislation sur les
normes europeennes et faciliter l’adhesion a l’UE, entre aujourd’hui
en application. Le texte suscite cependant de nombreuses inquietudes.
Il est accuse de mettre en cause la laïcite et la liberte
d’expression.

TEXTE-ARTICLE:

Le projet etait plus que louable. Nul ne doutait de la necessite de
refondre un code penal concu, il y a près de quatre-vingts ans, sur
le modèle du code fasciste mussolinien. Nul ne mettait en cause le
besoin d’assurer une plus grande independance des juges. Pourtant,
cette reforme en profondeur a eveille la mefiance quand, a quelques
semaines de sa mise en application, prevue le 1 er avril, les
journalistes s’etaient apercu des dangers qu’elle faisait peser sur
la liberte de la presse. Soudain mobilises contre le projet, ils
avaient obtenu un report de deux mois, qui devait permettre aux
deputes d’affiner les points litigieux.

Deux mois plus tard, le bilan est amer : ” Rien n’a vraiment change,
regrette le vice-president de l’Association des journalistes turcs,
Zafer Atay. Les associations de femmes nuancent ce propos sevère.
Elles considèrent, pour leur part, que leurs revendications ont ete
largement prises en compte. La tradition des crimes d’honneur, par
exemple, qui autorisait le mari ou le frère a executer une femme de
leur famille a la suite d’un adultère, un viol ou meme un regard de
travers, se heurtera desormais au risque d’une condamnation lourde.
Jusqu’a present, le criminel encourait de huit a seize ans de prison
; et sa peine etait souvent reduite a trois ou quatre ans, au
benefice de la ” bonne conduite “. Desormais, la peine sera la
perpetuite, avec minimum incompressible de trente ans.

Dans le domaine de la liberte d’expression, en revanche, les juristes
denoncent un texte flou : ” Des notions comme ” atteinte a l’interet
national ” ou ” attaque contre l’Etat ” sont vagues et peuvent etre
interpretees de diverses manières “, constate Akin Atalay, avocat du
quotidien Cumhuriyet.

Sur cette base mal definie, des journalistes s’inquiètent de ne plus
pouvoir aborder librement les sujets sensibles tels que le
stationnement de troupes turques a Chypre ou le genocide armenien
(lire ci-dessous). ” En clair, cela veut dire que la presse pourra
donner les faits bruts mais devra s’abstenir de tout commentaire qui
n’aille pas dans le sens commun “, precise Akin Atalay. Les
journalistes etrangers ne sont pas a l’abri des poursuites : celui
qui mettrait trop nettement en cause la position officielle de la
Turquie sur le genocide armenien pourrait s’exposer, par exemple, a
une peine de dix annees de prison.

Repressif quand il s’agit d’empecher la presse et les intellectuels
en general de s’exprimer librement, le nouveau code se montre a
l’inverse comprehensif dans le domaine des entorses faites a la
laïcite, qui constitue pourtant l’un des piliers de la Republique
turque construite par Ataturk. Un amendement, introduit a la dernière
minute, a provoque une levee de boucliers. Il concerne les cours
prives coraniques, soupconnes d’etre les courroies de transmission de
la propagande islamiste en Turquie. Leur ouverture illegale,
c’est-a-dire sans le feu vert prealable de la direction des Affaires
religieuses, exposait a une peine de trois ans de prison. Le nouveau
code prevoit de ramener cette peine a une simple amende. Pour le
Parti republicain du peuple (CHP), fer de lance de la laïcite, le
projet est inacceptable.

Face a la fronde, le chef de la diplomatie turque, Abdullah Gul, a
calme le jeu, en expliquant que les erreurs eventuelles peuvent
encore etre corrigees et que ” les exagerations sur de tels sujets
peuvent etre nuisibles a la Turquie “.

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