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Travel to Turkey’s borders: Turkey’s geostrategic richness (in Frenc

L’Humanite, France
20 août 2005

Voyage aux confins de la Turquie;
Turquie richesses, enjeux geostrategiques : Reportage a l’interieur
d’une region en mutation

par Emmanuelle Debelleix et Amelie Poinssot

Si le territoire turc integrait l’Union europeenne… Quelles
seraient les frontières orientales officielles de l’UE ?

Correspondance particulière.
Posof, poste frontière turco-georgien. Au terme d’une route de
montagne dont chaque virage laisse apparaître le trace du BTC
(l’oleoduc qui relie la mer Caspienne a la Mediterranee via Bakou
(Azerbaïdjan), Tbilissi (Georgie) et Ceyhan (Turquie), la petite
ville aux airs de station thermale semble perdue au milieu de la
foret. Posof, futur poste frontière entre l’Union europeenne et le
Caucase ? Pour le moment, le village a des airs de bout du monde. ”
Il ne passe qu’une vingtaine de camions par jour, soupire Serkan,
jeune douanier turc. Charges de salami, de farine et de biscuits, en
provenance de Turquie pour approvisionner le Caucase. ” Un peu de
trafic legal… ” Et des echanges clandestins dans les montagnes
alentour “, reconnaît l’officier. Sur lesquels plane, loin des
preoccupations locales, un lourd enjeu geostrategique. Le Caucase est
en effet riche en ressources energetiques et suscite les convoitises.

Via le nouvel oleoduc, les Etats-Unis cherchent a y etendre leur
sphère d’influence, grignotant les marges de l’ex-empire sovietique,
et sur la proximite europeenne, côte turc. Ils soutiennent depuis
1994 le projet du BTC, en grande partie finance par BP (British
Petroleum). Alors… depuis le premier coup de pelleteuse donne en
octobre 2003, le chantier avance, ignorant les cimetières villageois
qu’il dechire sur son passage. Eric, ouvrier francais sur le troncon
turc du pipeline, s’emporte : ” Les paysans ne sont quasiment pas
indemnises quand on les exproprie de leur champ ! ” Le chantier
pharaonique a pris du retard : inaugure en mai dernier, il ne sera en
service qu’a l’automne prochain. Certains espèrent des retombees
economiques positives d’un tel projet. Mais l’oleoduc ne fait que
traverser la region. Beaucoup aussi critiquent son coût (2,8
milliards d’euros). Et si la cle d’un tel chantier etait politique ?
Ce financement hors du commun est en effet en partie dû au fait que
le tube a dû contourner le Kurdistan turc et l’Armenie.
Turquie-Armenie. Une relation minee par le poids des massacres
perpetres il y a plus de quatre-vingt-dix ans. En 1915, en marge de
la Première Guerre mondiale, le gouvernement Jeune-Turc d’un Empire
ottoman declinant ordonnait une feroce repression du peuple armenien.
Plus d’un million de personnes mouraient au cours de massacres et de
deportations. Un siècle plus tard, ce genocide est toujours nie par
les autorites turques et reste ignore ou tabou dans la societe.
Turquie-Armenie, une relation minee par des dissensions politiques
plus recentes aussi. En effet, depuis 1993, par solidarite avec ses ”
frères de sang d’Azerbaïdjan “, le gouvernement d’Ankara a ferme la
frontière, en reponse a la prise de pouvoir par les milices
armeniennes du Haut-Karabakh, une province azerbaïdjanaise peuplee
majoritairement d’Armeniens. Ankara a de facto provoque le blocus
economique d’une Armenie exsangue. Et asphyxie du meme coup sa propre
region frontalière, la province de Kars, devenue un cul-de-sac.
Kars, un matin de semaine. Dans les rues poussiereuses passent
quelques voitures. Sur les trottoirs accidentes, les hommes
palabrent, une cigarette a la main, autour d’un traditionnel verre de
the. Les femmes vaquent, d’une echoppe a l’autre. Dans cette cite de
80 000 habitants situee a 45 km de la frontière armenienne, le
chômage touche plus de la moitie de la population. Il fut un temps
lointain où Kars etait riche, ville carrefour situee sur la Route de
la soie… Aujourd’hui, la region souffre. Elle figure au 71e rang en
termes de richesses produites sur les 80 districts que compte la
Turquie.
Alors, pour des raisons economiques, les habitants, dans leur immense
majorite, veulent la reouverture de la frontière. Le maire de Kars,
Naif Alibeyoglu (voir entretien), a meme lance une petition a ce
sujet qui a recueilli 50 000 signatures. Regulièrement, il se rend a
Ankara pour plaider auprès du gouvernement la cause de sa region.
Sans succès pour l’instant. Le fosse entre Ankara et Erevan reste
infranchissable. À la frontière, les miradors trônent, menacants, le
long des 300 km montagneux qui separent les deux pays. L’ancienne
limite du glacis sovietique pendant la guerre froide demeure encore
l’une des frontières les plus surveillees du continent.
En route vers le poste frontière. Des champs a perte de vue, quelques
tracteurs, des cueilleurs a l’echine courbee. Seul ornement des
villages de torchis : les antennes paraboliques. Au bout de la route,
Ani, l’ancienne capitale du royaume d’Armenie. Victime d’un
tremblement de terre au XIVe siècle, la cite a brutalement perdu le
rayonnement qu’elle exercait sur l’Asie centrale au Moyen Âge. ” La
cite aux mille eglises “, où les cathedrales côtoyaient autrefois les
caravanserails, et où fut construite la première mosquee sur le
territoire de l’actuelle Turquie, est laissee a l’abandon et aux
herbes folles. Depuis peu, il est possible de visiter ce site
archeologique sans autorisation administrative, et meme d’y prendre
des photos, signe d’un faible apaisement. Mais de part et d’autre des
gorges de la rivière Arpacay, les militaires veillent sans
discontinuer. Côte armenien, les soldats russes epaulent encore leurs
confrères.
Direction le sud, la ville d’Igdir, toujours a la frontière avec
l’Armenie. Ici, la Turquie se fait plus agressive. Une flèche de 43
mètres de haut commemore le ” genocide des Turcs ” qui auraient ete
massacres par les Armeniens au debut du XXe siècle ! Inversion de
l’histoire qui fait fremir. Sans aller jusqu’a renverser ainsi le
cours de l’histoire, les autorites d’Ankara refusent toujours de
reconnaître le genocide armenien. Le reconnaître constitue meme un
acte de trahison au regard de la loi. Ce qui explique l’opprobre jete
dans le pays sur les rares intellectuels qui osent avancer, tel
l’ecrivain Orhan Pamuk, que les morts côte turc ont ete bien moins
nombreux que côte armenien… Dans la region de Kars, où de nombreux
massacres ont ete commis, personne n’accepte le mot ” genocide “. Les
conversations commencent d’ailleurs souvent par : ” Vous savez, le
soi-disant genocide armenien, ce n’etait pas un genocide… C’etait
une guerre et il y a eu autant de morts des deux côtes. ” Une
centaine de kilomètres plus au sud, la route nous conduit vers la
frontière iranienne. Les check-points ponctuent le trajet. Parce que
la route longe la frontière armenienne et qu’elle est un axe de
contrebande important. Heritage, aussi, d’une epoque pas si lointaine
où les militaires turcs traquaient les membres du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK), qui avaient engage une lutte armee
pour la reconnaissance des droits du peuple kurde.
Dogubayazit, a 35 km de l’Iran. Atmosphère moyen-orientale. Ici, le
trafic est permanent et intense. Il fonde meme l’identite de la ville
: Dogubayazit, 36 000 habitants, gigantesque marche en permanente
ebullition. Dans les rues, des porteurs, des vendeurs, des cireurs de
chaussures, et de rares femmes, souvent revetues d’un tchador. À la
sortie de la ville, une quatre-voies parfaitement entretenue mène au
poste frontière. Une file interminable de camions stationnes, au
milieu d’un paysage desertique. Une nouvelle Europe se dessine, porte

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