La Croix , France
25 août 2005
Un été dans La Croix.
Les arméniens de turquie (4/7).
Dossier: Un dimanche à Vakiflar, au pied du Musa Dagh. Les chrétiens
syriaques s’accrochent au Tur Abdin. Dans l’extrême sud-est de la
Turquie, les catholiques arméniens sont presque tous partis, alors
que les syriaques font revivre leurs monastères. MARDIN, reportage de
notre envoyé spécial.
par PLOQUIN Jean-Christophe
Ils sont cinq ou six enfants précieux, beaux, rares. Ils rient,
chahutent, proposent du thé, des gteaux secs. Ils vont à l’école
publique turque et, le soir, à la maison, ils apprennent l’anglais
avec des cédéroms sur l’ordinateur familial. En cette fin
d’après-midi à Mardin, ville enracinée dans l’histoire et les
légendes des premiers chrétiens, en surplomb de la plaine
mésopotamienne qui disparaît au sud, une petite collation est offerte
à un groupe de touristes venu célébrer une messe à l’église
catholique arménienne Saint-Joseph. Sur le parvis protégé du soleil
par de hauts murs, les adultes font le décompte de leurs communautés
chrétiennes.
Il y a aujourd’hui 260 chrétiens de toutes confessions à Mardin,
ville d’environ 60 000 habitants. Les plus nombreux sont les
syriens-orthodoxes, une Église dont la langue liturgique est
l’araméen, la langue du Christ. Ils sont 150 tandis que les
arméniens-catholiques sont 60, les syriens-catholiques “plus de 45”
et les chaldéens “plus de 20”. Il y a quatre-vingt-dix ans, avant les
massacres, Mardin était une ville majoritairement chrétienne, avec
une très forte présence arménienne-catholique.
Réduits à quelques-uns, les chrétiens de Mardin se serrent plus ou
moins les coudes. Selon les paroissiens de Saint-Joseph, huit églises
de diverses confessions sont ouvertes dans la ville. Il y a une messe
par mois, avec parfois une rotation en fonction du rite.
C’est l’Église syriaque qui exerce aujourd’hui une influence
prédominante dans les environs, notamment en allant vers l’est, dans
la région de Tur Abdin, “la montagne des serviteurs de Dieu”. À six
kilomètres de Mardin, dans un vallon planté d’oliviers et de
pistachiers, se dresse le monastère de Deir-Al-Zafaran. Le couvent
joue un rôle éducatif important. Tanya, une jeune femme qui fait
visiter l’église de la Vierge-Marie à Diyarbakir, 150 kilomètres plus
au nord, a ainsi suivi pendant deux ans une formation à l’araméen à
Deir-Al-Zafaran. Elle logeait à Mardin mais venait chaque jour au
couvent.
Encore plus à l’est, à plus d’une heure et demie de route de Mardin,
le monastère de Mar Gabriel (Saint-Gabriel) est devenu le noyau du
réveil de l’Église syriaque. Mgr Samuel Atkas y fait souffler un vent
nouveau. Évêque de la ville voisine de Mydiat, il veille à la vie
spirituelle du couvent. Celui-ci abrite environ 70 personnes, dont
deux moines, 14 moniales, deux professeurs de syriaque et une
trentaine d’étudiants du monde entier qui viennent apprendre la
langue, les rites, la culture d’une Église dont les racines plongent
profondément dans l’Antiquité. “En Europe ou en Amérique du Nord, les
nôtres sont libres mais ils n’ont pas la tradition”, résume un prêtre
du voisinage. Le monastère a été restauré ces dernières années grce
à des financements provenant de la communauté.
La vie reste toutefois difficile pour les chrétiens du Tur Abdin.
Certains de leurs villages ont été pris entre deux feux lors du
conflit entre la guérilla kurde du PKK et l’armée turque, dans les
années 1980 et 1990. Les chrétiens ont été obligés de partir et leurs
maisons ont parfois été occupées par des Kurdes, eux-mêmes réfugiés.
“Je suis récemment retourné dans mon village, Aynvardo, avec le
consul de Suède, raconte l’un d’eux. Les musulmans sont là depuis
vingt ans et ils construisent. Ils ne veulent pas partir. Ils sont
violents. Pour eux, tuer n’est pas un problème. Il y avait 300
maisons appartenant à des syriaques. Aucun de nous n’a vendu.”
Les chrétiens syriaques s’accrochent et leur présence rassure les
quelques Arméniens encore présents dans la région. À Diyarbakir,
c’est à l’ombre de l’église syriaque de la Vierge Marie que trois
septuagénaires arméniens passent leurs vieux jours.
J.-C. P.
Bibliographie
Pour en savoir plus: Les Derniers Araméens, de Sébastien de Courtois,
photographies de Douchan Novakovic, La Table ronde, 160 p., 35 Euro.
L’ouvrage permet de plonger dans la vie des communautés et des
monastères syriaques de la région de Tur Abdin. Historien,
spécialiste de l’Orient, Sébastien de Courtois est par ailleurs
l’auteur de la principale étude sur le monde syriaque au tournant du
XXe siècle, intitulée: Le Génocide oublié.