Le Genocide Des Armeniens N’a Pas Fini D’Embarrasser La Suisse

LE GENOCIDE DES ARMENIENS N’A PAS FINI D’EMBARRASSER LA SUISSE

Le Temps, France
20 septembre 2005

POLEMIQUE. Le nationaliste turc Dogu Perincek, qui doit etre entendu
par le juge vaudois Jacques Antenen, a renouvele les propos qui lui
valent d’etre prevenu de discrimination raciale.

Dogu Perincek ne manque pas de culot. Ce nationaliste turc de gauche
a bien compris, semble-t-il, a quel point ses propos pouvaient
embarrasser la Suisse dans ses relations avec la Turquie, et quel
profit il pouvait en tirer.

Revenu en Suisse ces derniers jours – il doit etre entendu par le
juge d’instruction cantonal vaudois Jacques Antenen ce mardi -, Dogu
Perincek en a profite pour reiterer des propos qu’ils lui valent, deja,
d’etre prevenu de violation de la norme penale contre le racisme pour
avoir conteste que les Armeniens ont ete victimes d’un geno­cide.

A Liebefeld près de Berne di­manche, puis a Zurich lundi encore,
il a reaffirme publiquement sa conviction que les Turcs n’ont pas
commis de genocide contre les Armeniens en 1915, cette idee relevant
d’un “mensonge historique.” La police bernoise, qui a enregistre le
discours de Dogu Perincek, a denonce le cas a la justice. La juge
d’instruction bernoise Anastasia Falkner va toutefois confier le
dossier a ses homologues vaudois, a-t-elle indique au Temps . Le juge
d’instruction cantonal vaudois Jacques Antenen est en effet charge de
centraliser les diverses procedures deja en cours en Suisse contre le
nationaliste turc. Les propos similaires que Dogu Perincek avait tenus
a Glattburg (ZH) et a Lausanne dans le courant de l’ete a l’occasion
du 82e anniversaire du traite de Lausanne de 1923, lui avaient valu
ses premières poursuites.

Tensions diplomatiques

Très sensibles sur le sujet, les autorites turques avaient
immediatement proteste auprès de Berne. Ankara estime que l’ouverture
de ces enquetes penales est contraire au droit international. Les
Suisses avaient explique que la separation des pouvoirs empechait le
gouvernement d’intervenir dans le cours de la justice, et qu’il etait
exclu de tenir le Conseil federal pour responsable du declenchement
d’une enquete penale.

Cette mise au point n’a apparemment pas suffi au gouvernement turc.

Sans que cela soit dit officiellement, l’annulation, debut août, de
la rencontre de Joseph Deiss avec le ministre turc de l’Economie,
agendee pour le mois de septembre, est apparue bel et bien comme
une consequence de l’affaire Perincek. Auparavant, la visite que
Micheline Calmy-Rey a effectue en Turquie en mars avait deja ete
longtemps reportee, egalement pour des raisons liees a la question
du genocide des Armeniens.

Le juge Jacques Antenen pourrait etre amene a dire si les massacres
des annees 1915-1916 constituent bien un genocide au sens de la ­norme
penale contre le racisme, qui reprime le fait de “nier, minimiser
grossièrement ou chercher a justifier un genocide ou d’autres crimes
contre l’humanite”.

La Turquie a toujours recuse l’expression de genocide. Si elle admet
la realite des massacres, elle en conteste le nombre de victimes. La
reconnaissance officielle du genocide revient regulièrement a l’agenda
en Suisse. Le Conseil national et le Grand Conseil vaudois s’y sont
resolus, mais le Conseil federal, pour menager ses relations avec
Ankara, a toujours prefere laisser la question aux historiens.

Juridiquement, la reponse est loin d’etre entendue. La difficulte,
voire l’impossibilite pour un juge d’ecrire l’histoire avait amene
le tribunal de Berne-Laupen, en 2001, sur cette meme question, a un
verdict d’acquittement. Les douze accuses turcs devaient repondre de
violation de l’article penal contre le ra­cisme pour avoir signe une
petition contestant le genocide des Armeniens.

Au-dela, c’est la legitimite meme de la repression du negationnisme qui
pourrait etre mise a nouveau en question. Appartient-il veritablement
aux juges de trancher le debat? Dans sa jurisprudence sur la norme
contre le racisme, le Tribunal federal a recemment reconnu la necessite
de temperer la rigueur de la loi pour laisser la plus grande liberte
possible au debat public, valeur essentielle d’une democratie.

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