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Le Monde – Gianikian et Ricci Lucchi, defricheurs d’ar

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Gianikian et Ricci Lucchi, defricheurs d’archives

Couple singulier dans le petit monde du cinema experimental italien, Yervant
Gianikian et Angela Ricci Lucchi sont d’infatigables resistants qui filment,
retravaillent et recadrent des archives oubliees du debut du XXe siècle.
Pour en faire resurgir, photogramme après photogramme, l’histoire des
guerres, des maux, des cruautes. Mais aussi la siderante beaute de certains
paysages.
Dans leur Trilogie de la guerre, ils montrent des images de batailles a
Monte Pasubio entre soldats autrichiens et italiens pendant la première
guerre mondiale, des prisonniers de guerre qui errent comme des fantômes,
perdus dans la neige des Alpes. Des camps d’enfants orphelins, affames et
mourants en Russie. Des corps mutiles. Le pauvre rafistolage des gueules
cassees au nom d’une science positiviste. La silhouette si douce d’une
infirmière qui vient en aide a des aveugles. Des images recolorisees – en
bleu, rouge, jaune – a ne pas oublier pour ne plus permettre la repetition
des catastrophes. Pour nommer les bourreaux, les victimes, les survivants.
Leur oeuvre – diffusee dans le cadre d’une retrospective au Jeu de paume, a
Paris – est grave, violente, eblouissante.
Pourquoi voir et montrer autant de douleurs ? Savoir que dans chaque boîte
de pellicule les maux du siècle sont tapis et peuvent surgir comme un
serpent pret a mordre a nouveau. “Le monde est plein de dictateurs”, dit
Angela Ricci Lucchi, en ajoutant : “On a d’ailleurs notre propre dictateur
mediatique en Italie.” “Les artistes doivent montrer la guerre, affirmait
deja Leonard de Vinci”, explique Yervant Gianikian. Quitte a en tomber
simultanement malades, a peine termine Oh, Uomo, le plus effroyable de tous
leurs films, presente il y a deux ans au Festival de Cannes.
Tous les deux sont nes en fevrier 1942. Le père de Yervant, chimiste, est
armenien, l’un des rares survivants du genocide de 1915 en Turquie
orientale. Sa mère est autrichienne. Yervant etudie l’architecture a Venise
et passe une thèse atypique sur le cinema muet des annees 1920. De son côte,
Angela Ricci Lucchi suit une formation de peintre a Salzbourg aux côtes
d’Oskar Kokoschka avant de se lancer dans le mail art. Elle envoie des
questions, et les reponses composent ses expositions. Une amie poète lui
suggère d’aller voir quelqu’un qui travaille dans les Dolomites. “Tu me
diras, c’est un fou ou un genie”, la previent-elle. “C’est ainsi que j’ai
rencontre Yervant en 1975”, dit-elle. Ils ont decide de travailler ensemble
et de faire du cinema. Leur premier film a quatre mains se nomme Erat-Stora,
anagramme d’un poème d’Ezra Pound.
Dans les annees 1970, ils collectionnent des milliers d’objets, de jouets,
de cartes postales, des photographies qu’ils reorganisent dans des petites
boîtes, mi-theâtres de poche, mi-paysages duchampiens. Ces objets sont
filmes, catalogues. Fascines par cette idee de catalogue – qui leur vient
d’une inclination pour le Siècle des lumières et les encyclopedistes -,
Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi se lancent dans ces films poetiques
de found footage (en retravaillant une pellicule deja impressionnee), comme
Catalogue 9,5 Karagoëz.
L’idee de liberer des parfums pendant la projection de ces films vient aussi
du siècle des Lumières, du Traite des sensations de Condillac. Les cineastes
s’inspirent des theories de ce philosophe contemporain de Diderot pour
chauffer et diffuser des essences de rose, d’oeillet ou de framboise, en
fonction des images diffusees a l’ecran. Le plus stupefiant, Cesare
Lombroso, sur le parfum d’oeillet, rend hommage a un criminologue italien,
convaincu que les femmes capables de tuer n’avaient pas d’odorat. Ces
performances d’alchimie et de cinema experimental fascinent le public
americain, mais lassent assez vite les cineastes. Ils ne veulent pas devenir
des magiciens qui promènent de ville en ville leurs valises de films et de
parfums.
Tout bascule quand ils trouvent en 1977 des films muets de format Pathe
Baby. Pour les lire, tous deux mettent au point une technique, “la camera
analytique”, qui leur permet de s'”approcher, de descendre en profondeur
dans le photogramme, d’intervenir sur la vitesse de defilement, sur le
detail, sur la couleur”. Une manière de faire emerger le sens cache des
actualites ou de decrypter des images de propagande. Personne ne connaît
mieux qu’eux les fonds d’archives. L’histoire et la memoire. Ils ont utilise
l’etonnante collection de Luca Comerio, pionnier du documentaire italien,
decrypte les fonds russes, pragois, madrilènes, berlinois autant que ceux de
la Cinemathèque francaise ou du Cinema des armees de Paris. Pour Du pôle a
l’equateur, 347 000 images sur le thème du voyage ont ete retravaillees pour
saisir un incroyable bazar d’exotisme où les marchandises peuvent etre aussi
humaines. On y voit des conquistadors, des chasseurs, des pretres, des
soldats et Mussolini.
Dans Animali criminali, on assiste a des combats de coqs, au festin d’un
serpent mangeant une grenouille ou celui, plus medusant, d’un boa avalant un
petit cochon. Vision tetue, sans intention ni a priori, des combats
effrayants comme des scènes de jours heureux. “Le travail, c’est une drogue.
On n’arrete jamais”, affirme ce couple qui presente desormais son oeuvre aux
quatre coins du monde dans des installations museales ou des retrospectives
cinematographiques.
“Il existe toujours une part d’enfance dans leurs films. Chaque generique
est d’ailleurs une etiquette d’un cahier d’ecolier”, souligne Patrice
Rollet, l’un des fondateurs de la revue de cinema Trafic. Danièle Hibon,
responsable de la programmation cinematographique du Jeu de paume, a montre,
la première, leur travail en France, en 1995. Elle a incite Yervant
Gianikian a filmer son père, dans le très emouvant Retour a Khodorciur. A
plus de 70 ans, ce dernier est retourne voir son pays perdu, a pied, seul,
et raconte la tragique histoire de sa famille. Angela Ricci Lucchi et
Yervant Gianikian sont, eux aussi, alles en Armenie. Ils ont ramene des
stocks d’images. Pour faire un jour un film, le leur, qui ne provienne plus
d’images d’archives. Sauf peut-etre celles laissees par le père de Yervant,
qui avait pris le soin d’emporter une camera Super-8 dans son pèlerinage.
Nicole Vulser
Article paru dans l’edition du 15.03.06

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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress

http://www.lemonde.fr/web/article/0
Emil Lazarian: “I should like to see any power of the world destroy this race, this small tribe of unimportant people, whose wars have all been fought and lost, whose structures have crumbled, literature is unread, music is unheard, and prayers are no more answered. Go ahead, destroy Armenia . See if you can do it. Send them into the desert without bread or water. Burn their homes and churches. Then see if they will not laugh, sing and pray again. For when two of them meet anywhere in the world, see if they will not create a New Armenia.” - WS
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