Liberation , France
22 Avril 2006
La memoire armenienne fait irruption a Lyon
Riverains, conseillers municipaux UMP et, surtout, militants turcs se
sont ligues contre le monument commemorant le genocide armenien qui
sera inaugure lundi.
par Alice GERAUD
QUOTIDIEN : samedi 22 avril 2006
Lyon correspondance
Hemine parle calmement “Ce monument n’a pas a etre la. Je considère
que c’est une insulte a mon peuple.” Hemine a 18 ans, elle est
d’origine turque et ne comprend pas pourquoi la ville de Lyon a
souhaite que soit construit un memorial du genocide armenien. Elle ne
“croit” d’ailleurs pas au genocide armenien. A côte d’elle, derrière
les barrières metalliques protegeant le monument qui doit etre
officiellement inaugure lundi, un homme se definit comme “un
Gaulois”. Lui aussi est “contre” : “Il aurait mieux valu faire
quelque chose contre tous les genocides.” Un troisième trouve surtout
ca “très laid. Ca ne va pas sur cette belle place.” Leonardo
Basmadyan, l’architecte, hausse les epaules et essaie d’expliquer le
sens du monument en hommage a “tous les genocides”. “Les gens font la
demarche de venir discuter, c’est deja bien. On a vu pire.”
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Pire, ce sont les inscriptions negationnistes taggees la semaine
dernière sur les “feuilles” de pierre verticales qui constituent le
monument. Pire, ce fut cette manifestation turque le 18 mars a Lyon,
où l’on a pu voir des pancartes niant le genocide armenien, des
jeunes faisant le signe des Loups Gris (parti extremiste turque). Et
puis, raconte Leonardo Basmadyan, il y a aussi ces gens qui,
regulièrement, s’approchent du monument pour proferer des insultes.
Joutes. Une hostilite constante depuis la decision en 2004 de la
municipalite d’autoriser la construction d’une oeuvre en memoire du
genocide armenien. Plus de 2 500 lettres recues a la mairie, dont une
majorite identiques, envoyees par des membres de la communaute turque
de toute la France. Quatre recours au tribunal administratif deposes
par une association de riverains qui ont retarde les travaux de plus
d’un an. Et quelques joutes en conseil municipal. Gerard Collomb,
senateur-maire PS de Lyon, parle d’acharnement “Nous n’aurions jamais
imagine que cela puisse meme faire debat. Il faut bien admettre que
la reconnaissance du genocide armenien en France ne va pas de soi, et
pas seulement dans la communaute turque.”
Les premiers opposants n’ont d’ailleurs pas ete les Turcs. Mais une
association de riverains du IIe arrondissement et une partie de
l’opposition municipale UMP. Les motifs ne sont pas politiques mais
“esthetiques”. Ils defendent l’identite de la place Antonin-Poncet,
en plein centre de Lyon, où est erige le memorial. Marie-Chantal
Desbazeilles, conseillère municipale UMP en tete de la contestation,
dit n’avoir “rien contre ce monument”. “Je suis pas une sorcière
negationniste, je dis simplement qu’il ne fallait pas le mettre la,
sur une place sanctuarisee par l’Unesco”, explique-t-elle en
reference au classement du centre ville au patrimoine mondial. Selon
les riverains, le monument “boucherait la vue” et serait “trop
contemporain” pour cette place qui a en fait ete concue dans sa forme
actuelle… il y a une quinzaine d’annees. Et dont le principal
bâtiment est une gigantesque poste a l’architecture toute
stalinienne. “Je ne suis pas certain que ces oppositions sur la forme
ne cachent pas une opposition de fond”, suspecte le maire.
Selon Jean-Yves Secheresse, elu en charge du dossier, ces reticences
fleurent surtout “un bon vieux conservatisme”. “Mais, note-il, que ce
soit dans les reunions de quartier ou dans les courriers adresses au
maire, on percoit aussi des choses qui ne sentent pas toujours très
bon.” Ainsi, cette habitante de Villeurbanne qui parle de sa “rage”
de voir eriger un monument pour un genocide certes reconnu mais qui a
eu lieu loin de la France. “C’est une porte ouverte a toutes les
misères du monde”, ecrit-elle.
Menaces. Certaines lettres sont explicitement racistes. Mais la
majorite emane de la communaute turque. Envois groupes et
stereotypes. Plusieurs centaines d’habitants d’un meme village du
Jura, par exemple, qui demandent expressement “que la construction de
ce memorial ne se fasse pas”. Ils expliquent aussi que ce genocide
n’a pas existe, il s’agit de “simples populations deplacees”. Le ton
est parfois menacant, evoquant les “graves consequences” d’une telle
decision “qui ne pourra qu’attiser la haine entre les communautes”.
Depuis l’episode des tags negationnistes, plusieurs responsables de
la communaute turque lyonnaise, notamment dans les mouvements de
jeunes, tentent de calmer le jeu. Appelant a une “solidarite entre
les peuples armeniens et turcs”.
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