Le Monde, France
12 mai 2006
Les entreprises françaises s’alarment des menaces de boycott de la
Turquie;
COMMERCE PROPOSITION DE LOI DU PS SUR LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN
par Guillaume Perrier
En dessous d’une caricature de Jacques Chirac, sont répertoriés les
produits français à boycotter, secteur par secteur. Cette liste noire
de plus de 400 marques, qui circule sur Internet, a été publiée en
réaction à la proposition de loi du Parti socialiste français sur le
génocide arménien, qui devrait être examinée à l’Assemblée nationale
le 18 mai.
En cas d’adoption, avertissent les milieux économiques franco-turcs,
les conséquences pourraient être catastrophiques. ” L’attitude des
hommes politiques français est irresponsable, clame Guillaume
Rougier-Brière, président des conseillers du commerce extérieur en
Turquie. Cela pourrait nous conduire à l’une des crises les plus
graves entre la France et la Turquie. ”
A la tête d’une délégation de 22 représentants d’entreprises
françaises, parmi lesquelles Renault, Peugeot, Total, Carrefour ou
Alstom, il a été reçu, mardi 9 mai, à Ankara, par le premier ministre
Recep Tayyip Erdogan. ” Il nous a avertis que nous pourrions être des
victimes collatérales potentielles “, indique M. Rougier-Brière. Dans
une lettre envoyée à chaque président de groupe parlementaire à
l’Assemblée nationale, les hommes d’affaires français ont expliqué ”
qu’un tel vote viendrait immanquablement décourager – leurs –
efforts. (…) Les marques de défiance sont déjà perceptibles dans
nos activités “.
Le week-end dernier, le président de la commission des affaires
étrangères au Parlement turc, Mehmet Dulger, a déclaré que les
importations françaises pourraient faire l’objet d’un boycott et que
les entreprises pourraient être écartées de procédures d’appel
d’offres.
AREVA, UNE CIBLE CERTAINE
Au premier rang des entreprises visées figure Areva, candidate à la
construction des premières centrales nucléaires turques. ” Il y aura
d’abord ceux qui traitent avec l’Etat ou avec l’armée, prédit M.
Rougier-Brière. Et ensuite un boycott spontané des produits de grande
consommation “, à l’image de Danone ou L’Oréal. La Société générale,
qui prospecte pour le rachat d’une banque turque, est aussi une cible
potentielle.
” Nous serons moins concernés mais nous prévoyons une petite baisse
du chiffre d’affaires, admet quant à lui Esref Hamamcioglu, directeur
de Sodexho. Nous avons un contrat de restauration collective en cours
de négociation avec l’armée et les choses traînent un peu. ”
Les retombées de cette nouvelle crise entre les deux pays seraient
sans doute plus importantes qu’en 2001, après la reconnaissance
officielle du génocide arménien par la France. Des contrats avec
Thomson et Alcatel avaient alors été annulés et les tracasseries
administratives s’étaient multipliées.
Mais le boycott avait été découragé par la grave crise financière
survenue quelques jours plus tard. Aujourd’hui, la situation
économique de la Turquie est plus stable.
” Le marché turc est en pleine expansion et on y investit fortement
“, rappelle Malek Sarmini, directeur général de L’Oréal. La ministre
déléguée au commerce extérieur, Dominique Lagarde, doit se rendre en
Turquie le 14 juin, accompagnée de 40 chefs d’entreprise.
Guillaume Perrier