NEGATION DU GENOCIDE: LOGIQUE D’HISTORIENS CONTRE DOULEUR DES ARMENIENS
Par Isabelle Ligner
Agence France Presse
16 mai 2006 mardi 2:45 PM GMT
Des historiens denoncent la proposition de loi socialiste visant a
sanctionner la negation du genocide armenien de 1915, examinee jeudi
par l’Assemblee, tandis que des Armeniens disent leur douleur de voir
la France “s’incliner devant le negationnisme d’Etat de la Turquie”.
“Cette proposition de loi, comme toutes les lois memorielles, est
redoutable car elle tend a imposer des verites officielles qui vont
geler l’Histoire, interdire le debat”, assure a l’AFP l’historien
Jean-Pierre Azema, l’un des auteurs de la petition “Liberte pour
l’histoire” lancee en decembre et signee par 700 historiens, chercheurs
et enseignants. “C’est tout simplement aberrant en democratie”.
Parmi les signataires de la petition qui va deboucher sur une
association “de veille et de recours”, figurent des universitaires
comme Elisabeth Badinter, Marc Ferro ou Pierre Vidal-Naquet.
“La loi ne saurait dire le vrai, il faut lutter contre la
judiciarisation actuelle”, rappelle M. Azema. Avec les lois memorielles
sur l’esclavage, la colonisation ou le genocide armenien “des mauvais
coucheurs vont pouvoir traîner des enseignants en justice sous des
pretextes divers”, deplore-t-il.
“On ne manie pas les memoires avec des desseins electoraux”, accuse
M. Azema qui relève que la France s’expose a des “surenchères
communautaires”. “Dans le cas du Rwanda, pour lequel la definition
de genocide fonctionne très bien, la France, impliquee, n’envisage
curieusement pas de legiferer”, souligne-t-il.
Cette proposition de loi, qui a peu de chance d’etre adoptee, prevoit,
sur le modèle des lois contre le negationnisme de la Shoah, un an
d’emprisonnement et une amende de 45.OOO euros pour les auteurs de
declarations niant que les massacres d’Armeniens perpetres sur ordre
du gouvernement ottoman des Jeunes Turcs pendant la première guerre
mondiale entre 1915 et 1917 soit un genocide.
Elle vise a “completer” la loi du 29 janvier 2001 par laquelle l’Etat
francais – comme l’Onu, la Grèce, la Russie et le Parlement europeen
– a reconnu les massacres d’Armeniens comme le premier genocide du
20ème siècle.
La loi de 2001, comme la proposition de loi actuelle, a suscite la
colère d’Ankara. La Turquie admet des massacres de 300.000 Armeniens
mais parle de legitime defense assurant que les Armeniens combattaient
aux côtes des Russes et refute categoriquement le genocide de 1,2 a
1,5 million d’Armeniens.
Pour Seta Papazian, presidente du Collectif Van (Vigilance armenienne
contre le negationnisme), ce “negationniste de plus en plus virulent”
de la Turquie “ne laisse pas le choix, il faut legiferer afin que
la France cesse de s’incliner devant la Turquie qui allie chantage
et menaces”. Ankara a fait jouer son poids economique et a rappele
son ambassadeur a Paris pour consultation en avertissant que les
relations bilaterales pourraient etre durablement affectees.
Mme Papazian trouve ironique que l’on mette en avant la defense de la
liberte d’expression pour s’opposer a la proposition de loi “alors
qu’en Turquie, le simple fait d’evoquer le genocide est passible de
10 ans de prison”.
En France recemment, des associations franco-turques ont celebre Talaat
Pacha, ministre de l’Interieur ottoman qui orchestra le genocide. “Pour
nous, c’est comme si l’on celebrait Hitler”, assure Mme Papazian. “Le
negationnisme nous tue en permanence dans les medias, sur internet. Il
n’y a pas a tergiverser, il nous faut une loi, il y a des limites a
la liberte d’expression”.
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