A LYON, LA VIE CACHEE D’ALEX ET DAVID, DEUX ENFANTS QUI VEULENT ETRE COMME LES AUTRES
Le Monde, France
18 juin 2006
" Oh ! J’ai oublie mes cartes Yo Gli Yo pour les montrer a mon copain
Leo ", s’exclame Alex, 10 ans, cartable au dos, en sortant de classe.
Rien ne distingue Alex des autres enfants qui se bousculent a la
sortie de l’ecole Victor-Hugo a Lyon. Sinon que sa mère, a lui, ne
vient jamais le chercher. Chaque fois, c’est une personne differente
qui vient l’attendre a la sortie de l’ecole. Car depuis que, le 19
avril, les policiers sont venus signifier a leur mère, Samira, un
ordre de depart pour le lendemain, Alex et son frère cadet, David,
7 ans, vivent caches.
Depuis près de deux mois, parents d’elèves et enseignants des pentes
de la Croix-Rousse a Lyon sont " entres en resistance " pour soustraire
Samira Babaïan et ses deux enfants a la police et empecher leur renvoi
vers l’Allemagne. L’Allemagne, pays où Samira Babaïan, Azerie d’origine
armenienne, a debarque de Russie pour demander l’asile. Asile qui lui
a ete refuse. En France, où elle est arrivee en novembre 2005, l’Etat
refuse d’etudier sa nouvelle demande de protection, en vertu d’un
accord europeen, dit Dublin 2, qui veut qu’un dossier depose dans un
pays de l’espace Schengen doive etre traite jusqu’au bout par celui-ci.
Cet argument n’est que " du vent " pour les parents d’elèves de la
Croix-Rousse, quitte a enfreindre la loi. Illegale, leur action peut
leur valoir jusqu’a cinq ans de prison et 30 000 francs d’amende.
Mais pour eux, la question de la " desobeissance civile " ne se pose
meme pas. " Je l’ai fait comme un acte citoyen, temoigne Sandrine
Riot-Sarcey, mère de famille du quartier qui a heberge Alex. Lorsque
j’ai eu connaissance de la situation de cette famille, je suis tombee
des nues. Il ne m’etait pas possible de continuer a vivre comme si
de rien n’etait. "
" La seule chose angoissante, c’est de savoir comment faire pour ne
pas mettre en danger les enfants, comment reagir par exemple si des
policiers s’approchent lorsqu’on est avec eux dans la rue ", confie
Valerie Tranchand, autre mère de famille qui a accueilli Alex.
Ils sont comme cela une bonne vingtaine de parents a s’etre relayes
pendant plusieurs semaines pour cacher quelque part Samira et David,
et ailleurs Alex. Aujourd’hui la famille vit a nouveau reunie dans un
" endroit sûr " a Lyon. Mais parents d’elèves et voisins continuent
de se relayer pour accompagner les enfants a l’ecole. Dans l’unique
pièce où ils vivent, Alex et David ont epingle sur le mur, au côte d’un
grand dessin signe de tous les enfants de leur ecole les soutenant,
un memo leur rappelant qui et quel jour les prend en charge. Il n’est
surtout pas question de sortir avec leur mère dans la rue. Alex a aussi
appris un numero de telephone par coeur. Si d’aventure il se faisait
arreter, il a pour consigne de partir en courant puis d’appeler ce
numero. Quelqu’un viendra le chercher.
Et cet ete, ces " protecteurs " l’enverront dès le 30 juin en "
vacances " loin de Lyon avec sa mère et son frère. Et un système de
permamence est en train de s’organiser pour pouvoir, meme en plein
ete, mobiliser rapidement en cas de coup dur. Pas de treve estivale
pour la mobilisation lyonnaise, qui demande qu’au moins le dossier
de demande d’asile de la famille Babaïan puisse etre examine.
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