L’HISTORIEN RENE REMOND CRAINT POUR LA LIBERTE DE LA RECHERCHE
Le Temps, Suisse
23 juin 2006
L’histoire au piège de la loi
Tout inscrire dans la loi: telle semble etre le peche mignon des
deputes francais. Une tendance propre a une nation continentale,
comme l’a souvent souligne un Michel Rocard, qui l’oppose au goût
du contrat propre a l’Angleterre, nation maritime. Or cette manie
legislative vient de marquer quelques rates, dès lors que le parlement
francais, en quelques annees, a vote plusieurs lois "memorielles",
qui soulèvent la colère des historiens tout en contentant telle ou
telle communaute qui se regarde comme victime.
Loi Gayssot sanctionnant la contestation de la Shoah, soeur jumelle de
la loi relative au genocide armenien, loi Taubira assimilant traite
negrière au genocide, article conteste sur les effets benefiques de
la colonisation.
C’est sur cet etrange edifice, transformant l’historiographie en
delit potentiel, que revient l’excellent historien qu’est Rene
Remond. Repondant aux questions de Francois Azouvi, l’auteur des
Droites en France critique vertement cette manie legislative. Car elle
a conduit un groupe d’Antillais a deposer plainte, pour contestation de
genocide, contre un historien, Petre-Grenouilleau, dont la thèse a ete
saluee pour l’evaluation, approfondie et nuancee, de la traite negrière
qu’elle presente. Du coup, un collectif d’historiens, entraîne par Rene
Remond, a demande le retrait de l’ensemble de ces lois memorielles.
L’auteur ne se contente pas de souligner que ces lois sont de nature a
paralyser la recherche en histoire, toujours sujette a revision et au
doute. Si la Shoah, relève-t-il, ne prete plus a contestation, sinon de
la part d’hommes dont on doit interroger les motivations – Rassinier,
Faurisson, Le Pen, Gollnish… – un thème tel que l’affaire armenienne
ou la traite des esclaves n’interdit pas le questionnement. Car la
recherche de la verite est en jeu ici. Et si l’on retirait les lois
memorielles – entreprise au reste delicate – le dispositif legislatif
ordinaire suffirait, selon lui, a sanctionner l’insulte raciale.
L’essai ne s’arrete pas la. Remond repond avec subtilite et
intelligence a ceux qui reprochent aux historiens de pretendre au
monopole du traitement de l’histoire. Belle occasion de s’expliquer:
c’est une discipline ouverte, note-t-il, a tous ceux qui, non
professionnels, s’astreignent a la rigueur de la methode. Une
discipline qui demande de la sensibilite. Remond met un accent
particulier sur les intentions des acteurs de l’histoire et ne refuse
pas le jugement moral de l’historien, dans des conditions precises.
Dans un très beau chapitre sur le thème memoire/histoire, où il
se demarque en passant de Ricoeur – "la memoire est spontanee et
s’impose comme une evidence; l’histoire est une construction qui
procède d’un travail methodique" – Rene Remond evoque de manière
nuancee le "devoir de memoire", et s’arrete a l’attachement, fort,
des Francais, a leur patrimoine. Signe, selon lui, d’un besoin de
se raccrocher au passe au moment meme où les mutations rapides et
profondes des modes d’existence genèrent, en nous, de l’angoisse.
Quand l’Etat se mele de l’histoire, Rene Remond, Stock, 107 p.
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