GUEDIGUIAN SUR LES TRACES DE SES ANCETRES
Par Emmanuèle Frois
Le Figaro, France
28 juin 2006
DEPUIS PEU, Robert Guediguian prend des chemins de traverse. Il avait
deja deserte l’Estaque, le soleil de Marseille, sources d’inspirations
familières, pour le palais de l’Elysee avec le crepusculaire Promeneur
du Champs-de-Mars, autour des derniers jours de Francois Mitterrand. Et
il evoque aujourd’hui pour la première fois ses racines armeniennes
a travers son film, Le Voyage en Armenie. Histoire d’une quete, celle
d’Anna (Ariane Ascaride), medecin au coeur rempli de certitudes parti
a la recherche de son père malade (Marcel Bluwal) qui s’est enfui en
Armenie, la terre qui l’a vue naître. Pour Anna, ce sera un voyage
initiatique et la decouverte d’une identite qui se construit peu a peu.
Le Voyage en Armenie
Le cineaste revient a ses origines armeniennes a travers l’histoire
d’une femme medecin a la recherche de son père malade
LE FIGARO. – Pourquoi avez-vous eprouve le besoin d’effectuer ce
voyage en Armenie, d’aller dans les pas de vos ancetres ?
Robert GUEDIGUIAN. – Je n’ai jamais revendique mon " armenite ". Je
me suis en quelque sorte laisse faire. En 2000, des Armeniens de la
diaspora ont organise a Erevan une retrospective de mes films.
L’accueil qu’Ariane et moi avons recu a ete bouleversant. C’etait
la première fois que je me rendais en Armenie. J’ai subi un choc,
physique, sensuel. À chaque coin de rue, j’avais l’impression de me
retrouver face a mon père. Ce sont mes grands-parents paternels qui
etaient armeniens. Mon grand-père, ne a Sivas, est venu en France pour
poursuivre ses etudes de theologie. Il se destinait a la pretrise. En
1915, après le genocide, l’exode massif, il s’est mobilise pour
aider les immigres, pour s’occuper des Armeniens qui debarquaient
a Marseille. C’est a ce moment-la que ma grand-mère est arrivee,
comme ma grand-tante qui est encore en vie et qui se souvient de sa
deportation a travers le desert, lorsqu’elle etait âgee de 4 ou 5 ans.
Evoquaient-ils leur passe, leurs racines ?
Non car cette generation a mis toute son energie, tous ses efforts
a s’integrer. Mon père ne parlait pas armenien. D’ailleurs, un
des personnages du film declare a un moment : " On dit la langue
maternelle, pas la langue paternelle. Ca n’existe pas, la langue
paternelle. " J’ai appris l’allemand, la langue de ma mère.
Comment est nee cette histoire ecrite avec la collaboration d’Ariane
Ascaride et de Marie Desplechin ?
Grâce a Ariane qui dans Brodeuses jouait une couturière d’origine
armenienne. Elle avait rencontre, au moment du tournage a Lyon, un
vieux cordonnier armenien. Et ce vieil homme lui a rappele son père,
un Napolitain avec lequel elle entretenait des rapports difficiles.
C’est elle qui a eu l’idee de la relation au père, du voyage
initiatique en Armenie. Ce père qui veut faire comprendre a sa fille
a travers sa fuite, que le bonheur c’est d’assumer la complexite
des choses, de douter, de ne pas avoir de certitudes. Il a mis des
cailloux sur son chemin, mais, au debut, sa fille est aveugle.
Dans ce film, vous montrez sans detour tous les visages de l’Armenie,
autant la pauvrete que la richesse naissante, les actions humanitaires
comme les actes mafieux.
Le scenario devait a la fois montrer le present mais laisser egalement
filtrer toutes les tragedies passees de l’Armenie. Le genocide perpetre
par les Turcs, le joug sovietique, le tremblement de terre de 1988,
puis l’independance en 1991 et, enfin, le conflit du Karabakh avec
l’Azerbaïdjan. Depuis l’independance, il s’est constitue, comme dans
certains Etats naissants, des sortes de groupes de seigneurs feodaux,
melange de mafieux et d’anciens du KGB, qui contrôlent des territoires,
le commerce des voitures, du sexe, des medicaments… L’anarchie est
totale. Des gens sont assassines dans les rues. Et en meme temps,
il existe des justiciers tels que Yervanth qui est interprete par
Gerard Meylan. Le personnage s’inspire d’un de mes amis soupconne
de braquage revolutionnaire dans les annees 1980 et qui est parti
pour l’Armenie. Il est devenu un heros national après la guerre du
Haut-Karabakh et tente, comme il peut, de negocier avec des realites
qui ne sont pas toujours " propres ". Dans le film, l’etrangère
qu’est Anna tente de lui donner des lecons du haut de son " purisme
a l’occidental ".
Vous n’etes pas croyant. Et pourtant on trouve une vraie dimension
spirituelle dans votre film, avec, entre autre, la visite de plusieurs
eglises.
On ne peut pas vraiment y echapper la-bas. L’Armenie est le premier
pays a avoir adopte la religion chretienne comme religion d’Etat. Et
puis la première phrase de l’Ancien Testament dit que c’est entre les
deux sommets du mont Ararat que l’Arche de Noe s’est arretee. Mais
c’est surtout la beaute de ces lieux qui me touche.
A travers le discours de certains personnages, vous en profitez pour
porter un sacre coup au communisme.
Oui, mais je dirais plutôt le sovietisme car c’est le mot qui est
employe en Armenie. J’ai ete membre du Parti communiste francais
jusqu’en 1980. Je n’y suis plus. Mais j’ai toujours un reve egalitaire,
celui du partage des richesses.
Comedie dramatique de Robert Guediguian, avec Ariane Ascaride, Gerard
Meylan, Chotik Grigorian. Duree : 2 h 05.
– Voir la critique page 36 Ariane Ascaride et Jean-Pierre Daroussin,
acteurs fetiches de Robert Guediguian (en medaillon).
–Boundary_(ID_TTYSBVMxT8G9FSz/QX14Tw )–