Couple d’Armeniens et leurs quatre enfants, vivant clandestinement

Libération
10 août 2006

Emballés par leurs papiers;
Un couple d’Arméniens et leurs quatre enfants, vivant clandestinement
à Lyon depuis 2003, viennent d’être régularisés dans le cadre de la
circulaire Sarkozy.

par BERTRAND Olivier

Lyon de notre correspondant

La mère sort la lettre, qu’elle déplie soigneusement. Elle la montre
en souriant. Dessus, il y a la signature du préfet du Rhône, qui
annonce à Gohar et Mamikon, son mari, qu’ils vont obtenir une carte
de séjour temporaire. Arméniens, ils étaient sans papiers en France
depuis plus de deux ans. Trois de leurs quatre enfants fréquentaient
des écoles de l’agglomération lyonnaise. Ils ont donc déposé une
demande de régularisation, dans le cadre de la circulaire Sarkozy du
13 juin, destinée aux parents étrangers d’enfants scolarisés en
France. Ils font partie des 200 dossiers environ déjà régularisés à
Lyon. Un sésame qui leur offre un an de répit, après un périple
éreintant.

Tailleur de pierres.

Gohar et Mamikon, 35 et 40 ans, sont nés en Arménie. Son père à elle
était azéri, ce qui les a exposés à de multiples persécutions. En
1991, lorsque le conflit a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan,
au sujet du Haut-Karabakh, ils ont préféré fuir. Mamikon a abandonné
son métier de tailleur de pierres et ils se sont retrouvés en Russie,
à Saint-Pétersbourg, où ils sont restés douze ans. Sans papiers, le
père travaillait au noir. Les enfants ne pouvaient pas aller à
l’école. Un professeur leur donnait des cours privés à la maison.
Leur origine arménienne leur valait le mépris et la peur de mauvais
traitements. Alors, après la naissance des deux derniers, ils ont
préféré fuir plus loin.

Le père a trouvé un passeur, en 2003. Pour "9 800 dollars", ils ont
quitté la Russie, sans même savoir où ils partaient. Le 26 novembre
2003 au matin, on les a fait monter dans un camion. Ils sont restés
quatre ou cinq jours cachés à l’arrière, puis le routier russe a fini
par rouvrir les portes. C’était le 1er décembre au matin. Il ne leur
a même pas dit où ils étaient et c’est en entendant des passants
parler qu’ils ont découvert qu’ils se trouvaient en France. Il y
avait une station de métro pas loin. La station Brotteaux. Ils se
trouvaient à Lyon.

Comme ils ne savaient pas où aller, l’aînée des quatre enfants,
Naïra, 16 ans, a demandé à un passant, en anglais, comment demander
l’asile. L’homme a pris le temps de se renseigner puis les a orientés
vers un centre où ils ont été accueillis. Une demande d’asile
politique, déposée avec l’aide de l’association Forum Réfugié, a été
rejetée, de même que le recours. Un nouveau dossier a été monté, sans
plus de succès. La famille attend désormais le résultat du deuxième
recours.

D’hôtels en foyers.

Dès leur arrivée, les enfants ont été scolarisés. Les deux grandes
ont rejoint une classe passerelle, dans un collège de Vaulx-en-Velin.
"On devait y rester un an, pour bien apprendre le Français, raconte
Naïra. Mais on a appris vite et ils nous ont mis rapidement dans des
classes normales." Comme elle maîtrisait déjà l’albanais, le russe,
le français et l’anglais, l’aînée a choisi l’allemand, en 4e. Elle
termine sa deuxième année de scolarité complète en France avec 10 de
moyenne.

Ces derniers mois, nombre d’enseignants et de parents d’élèves se
sont battus aux côtés de la famille, notamment pour obtenir un
logement. Depuis l’arrivée à Lyon, elle était ballottée d’hôtels en
foyers, de centres d’accueil en meublés : huit déménagements en deux
ans.

Certains enseignants ont expliqué dans leurs classes ce que vivaient
les deux jeunes filles, et de très nombreux collégiens sont venus les
soutenir dans les manifestations organisées. Avec la régularisation,
la famille espère se poser, s’installer.

Lorsque les parents sont allés en préfecture déposer leur dossier, on
leur a proposé l’aide au retour. Près de 14 000 euros. Ils ont
refusé. "On ne retournera jamais en Arménie, dit Naïra. Ce qu’on a
vécu était trop dur. On veut vivre définitivement en France."