Le Retour Aux Sources Des Armeniens De France

LE RETOUR AUX SOURCES DES ARMENIENS DE FRANCE
par Beatrice Gurrey

Le Monde, France
30 septembre 2006 samedi

Peu d’entre eux y sont nes, certains se sont decides a faire le
voyage la cinquantaine venue. Quelques-uns y vont a l’occasion,
d’autres souvent. Ils savent qu’ils eprouveront tous un pincement au
coeur en arrivant a Erevan, en Armenie, vendredi 29 septembre au soir,
en compagnie de la delegation qui accompagne Jacques Chirac pour une
visite d’Etat, jusqu’a dimanche.

Alain Manoukian, Daniel Bilalian, Patrick Devedjian, Alain
Mikli (ex-Miklitarian), Armen Petrossian, Youri Djorkaeff, Simon
Abkarian… et au premier rang, Charles Aznavour, doyen de 82 ans, qui
ouvrira, samedi 1er octobre a Erevan, par un grand concert, l’Annee
de l’Armenie en France. Chacun porte en lui l’histoire familiale et
l’histoire tout court, celle du genocide de 1915.

Les grands-parents d’Alain Manoukian, createur d’une marque de mode
qu’il vient de vendre a des Americains, sont arrives en France en
1927. Son père, ne a Alep (Syrie) pendant l’exode, a perdu six frères
et soeurs. Après, ce fut le Liban et enfin Marseille, avec le fameux
passeport Nansen d’apatride, comme tant d’autres. Son premier voyage en
Armenie, Alain Manoukian l’a fait avec son père, dans un avion affrete
par la famille, pour porter secours aux victimes du tremblement de
terre de decembre 1988. " C’etait en janvier, les conditions etaient
effroyables. Et il y avait le couvre-feu, l’armee russe. " Aujourd’hui,
il fait construire une eglise près du lac Sevan, en hommage a son père.

Peu ordinaire, aussi, est l’histoire que raconte Armen Petrossian,
dont le père et l’oncle, un avocat et un architecte etudiants a Moscou,
ont emigre " après les massacres de 1915 en passant par l’Iran ". Les
diplômes etaient devenus inutiles, mais les frères Petrossian parlaient
le francais et eurent l’idee de vendre du caviar qu’ils achetaient
en Union sovietique, en faisant le pari que le regime allait durer.

Armen Petrossian sponsorise une importante exposition de photos
qui debutera en fevrier au Musee d’Orsay, dans le cadre de l’annee
de l’Armenie en France. Alain Mikli, createur de lunettes, se rend
deux fois par an dans le pays de ses grands-parents " nes dans une
partie occupee par la Turquie ". A 52 ans, il avoue que c’est " l’âge
" qui l’a decide a faire un premier voyage il y a trois ans, " quand
on commence a vouloir donner, transmettre, partager ". Recemment, il
a organise a Erevan une exposition des photos de Yann Arthus-Bertrand,
" La Terre vue du ciel ", sous forme d’images tactiles, pour permettre
aux non-voyants d’apprehender le travail du photographe.

Il appartient lui aussi a la troisième generation, qui n’a rien
oublie. Comme ses compagnons de voyage, il se felicite de la visite
du chef de l’Etat, qui commence, samedi, par un hommage aux victimes
du genocide. Mais la Turquie reste pour lui et pour tous un sujet
brûlant. Alain Manoukian le dit d’une manière moderee. Pendant la
campagne du referendum sur l’Europe, où l’UMP s’est opposee a l’entree
de la Turquie dans l’Union, contrairement au chef de l’Etat, il aurait
prefere que ce dernier " soit plus incisif et plus convaincant sur
la reconnaissance du genocide par la Turquie ".

Patrick Devedjian, proche de Nicolas Sarkozy, est incisif, lui. Il
n’a qu’un combat : la reconnaissance du genocide par les Turcs. La
page ne pourra etre tournee qu’a ce moment-la, dit-il, tout en citant
Tocqueville : " Les grands crimes ne s’oublient jamais. " L’ancien
ministre, orateur du RPR lors du vote de la loi sur la reconnaissance
du genocide par la France, en janvier 2001, est alle pour la première
fois en Armenie " après la chute de l’Union sovietique ". C’etait
en 1992, " une misère epouvantable, comme en Afrique ", dit-il. Les
habitants d’Erevan avaient coupe tous les arbres pour se chauffer. Il
y est retourne en 2005 : " Le changement etait invraisemblable. J’ai
vu ce que la liberte et le courage avaient fait ensemble. "

Dans l’avion, il connaît tout le monde. Le depute est meme fort
savant sur le duduk, specialite du musicien Leon Minassian. "
C’est une flûte très particulière qui rend un son dechirant. "
Il fit pleurer tous les Armeniens dans le film d’Henri Verneuil,
Mayrig (" Mère "). Daniel Bilalian prevoit des larmes pour samedi :
" Quand Aznavour va chanter Les Disparus, on va tous chialer. "

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