Ankara Sur La Defensive

ANKARA SUR LA DEFENSIVE
by Laure Marchand

Le Figaro, France
03 octobre 2006

C’EST REPARTI pour un nouveau bras de fer diplomatique entre Paris et
Ankara. Vu de Turquie, le president francais a declenche le premier les
hostilites. "Chirac s’obstine : "reconnaissez le genocide armenien",
titrait dimanche le quotidien populaire a grand tirage Sabah,
commentant ses propos tenus au cours de la visite d’Etat qu’il a
effectuee en Armenie. Au cours de sa conference de presse a Erevan
samedi, Jacques Chirac a etabli pour la première fois un lien entre la
reconnaissance par la Turquie du caractère genocidaire des massacres
contre les Armeniens et l’adhesion d’Istanbul a l’Union europeenne.

La Turquie qualifie toujours les tueries perpetrees sous l’Empire
ottoman de 1915 a 1917 de "pretendu genocide" et concède tout au
plus 500 000 morts de part et d’autre. Les declarations de Jacques
Chirac sur ce sujet très sensible n’ont pour l’instant pas provoque
de tolle generalise. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, en
deplacement a Washington où il doit rencontrer George W. Bush lundi,
n’a pas encore reagi. Mais le discours d’Erevan risque de conforter
la Turquie dans la conviction qu’elle a d’etre prise en otage par la
politique interieure francaise. "Il s’agit d’un beau compliment pour
conquerir le coeur des Armeniens de France, considère placidement
Mehmet Dulger, president de la commission des Affaires etrangères
du Parlement turc. Nous en avons un peu marre d’etre sans arret
au milieu des enjeux electoraux." Lobbying La prochaine echeance
arrive d’ailleurs le 12 octobre : les deputes francais se pencheront
a nouveau sur une proposition de loi socialiste visant a penaliser
la negation du genocide armenien. Les peines prevues vont jusqu’a un
an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Mehmet Dulger devait
arriver ce matin a Paris, a la tete d’une delegation parlementaire
chargee de contre-attaquer et "de tenter de convaincre les elus de
renoncer a cette loi". Le groupe turc reprend son bâton de pèlerin
pour la deuxième fois cette annee : un voyage de lobbying avait deja
eu lieu en mai dernier lors du premier examen du texte, non soumis au
vote faute de temps. En exigeant d’Ankara la reconnaissance du genocide
armenien, le president francais pose un obstacle supplementaire a
l’entree de la Turquie dans l’Union europeenne.

Bruxelles n’a pas fait de cette demarche historique un critère
d’adhesion. Mais le sujet s’immisce de plus en plus frequemment dans
les negociations. Le Parlement europeen a adopte le 27 septembre un
rapport non contraignant sur la candidature turque et a retire in
extremis un paragraphe qui contenait une demande similaire. Recep
Tayyip Erdogan avait declare a cette occasion, "le match a commence,
il n’est pas question d’en changer les règles".

–Boundary_(ID_gi3XmK02yx8N0h2 v0qaD/w)–