LE CHEF DE L’ETAT " A ETE IRREPROCHABLE SUR LE TRAVAIL DE MEMOIRE "
Propos recueillis par Beatrice Gurrey
Le Monde, France
3 octobre 2006 mardi
Les propos de Jacques Chirac marquent-ils un tournant concernant la
reconnaissance du genocide armenien par la Turquie ?
Oui, un tournant historique. C’est la première fois que le president
de la Republique affirme aussi clairement les choses. D’abord, il
reitère avec solennite la reconnaissance du genocide par la France,
en se rendant au memorial d’Erevan. Il transforme un acte juridique,
la loi du 29 janvier 2001, en acte politique. Il le fait a deux pas de
la frontière turque, en soulignant qu’il souhaite voir les frontières
ouvertes a l’est comme a l’ouest. Il affirme de manière très claire que
la Turquie serait " bien inspiree " de suivre l’exemple de l’Allemagne,
qui a reconnu la Shoah. Il est le seul chef d’Etat a l’avoir fait et
le premier a l’avoir ainsi solennise.
Pourquoi M. Chirac agit-il ainsi ?
Il se met en conformite avec un domaine où il a ete irreprochable,
celui du travail de memoire. Je pense que cette declaration est un
moyen de laisser une trace dans l’histoire. Je crois aussi qu’il a pris
acte de la reticence de l’opinion francaise a l’egard de l’entree de
la Turquie dans l’Union europeenne (UE), qui s’est manifestee si fort
au moment du referendum de 2005. Il tient aussi compte, a mon sens,
de l’attitude de l’UE, de plus en plus irritee du refus de la Turquie
d’avancer serieusement sur le plan des reformes democratiques. Jacques
Chirac a ete un supporter de l’entree de la Turquie, avec beaucoup
d’optimisme. J’imagine qu’il est decu lui aussi. Ses declarations
peuvent-elles provoquer une crispation a Ankara ? On peut le penser,
de la part du gouvernement, mais elles peuvent aussi encourager les
elements democratiques de la societe turque. Les Armeniens attendent
depuis 90 ans une elementaire justice. Ce serait un paradoxe que les
enfants des bourreaux soient plus crispes que les enfants des victimes.
Le president a juge inutile la proposition de loi socialiste, que
vous soutenez, visant a penaliser la negation du genocide. Etes-vous
decu ? L’adresse du president a la Turquie est un acte politique si
fort que la question de cette proposition de loi, qui doit venir en
debat au Parlement le 12 octobre, en devient accessoire.
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