CHRISTOPH BLOCHER SE REND EN TURQUIE DANS UN CONTEXTE FRAGILE
Le Temps, Suisse
4 octobre 2006
RELATIONS BILATERALES. Le ministre de Justice et police sera a Ankara
juste après une visite du secretaire d’Etat Michael Ambuhl. La question
armenienne risque d’etre abordee.
Un curieux ballet diplomatique suisse se deploie ces jours a Ankara.
Christoph Blocher se rend ce mercredi en Turquie alors que le
secretaire d’Etat aux Affaires etrangères Michael Ambuhl vient d’y
faire un saut et qu’une delegation du Seco s’y trouve deja.
Officiellement, ce chasse-croise tient du hasard du calendrier. Mais
dans un contexte plutôt tendu – les relations entre la Suisse et la
Turquie ont connu des episodes houleux ces dernières annees -, ces
visites successives n’ont rien d’anodin. Et il y a fort a parier que
Christoph Blocher sera amene a devoir expliquer une nouvelle fois la
position de la Suisse par rapport a la delicate question armenienne.
Christoph Blocher se rend a Ankara sur invitation de son homologue
Cemil Cicek. Il prononcera un discours lors de la ceremonie d’ouverture
d’un symposium marquant les 80 ans du Code civil turc, fortement
inspire du code suisse, avant un tete-a-tete avec le ministre de
la Justice turc. Le conseiller federal UDC s’entretiendra egalement
avec le premier ministre et ministre de l’Interieur Abdulakadir Asku,
puis avec la presidente de la Cour constitutionnelle. Enfin, il ira
deposer une couronne de fleurs au mausolee de Mustafa Kemal Ataturk,
fondateur de la Turquie moderne.
Voila pour le programme officiel.
Mais si Christoph Blocher doit s’attendre a ce que Cemil Cicek
aborde le sujet qui fâche les Turcs, celui du "genocide armenien",
Michael Ambuhl lui aura en quelque sorte prepare le terrain. Le numero
deux des Affaires etrangères a rencontre lundi Ali Tinaz Tuygan, le
sous-secretaire d’Etat turc aux Affaires etrangères, pour une troisième
session de consultations politiques. Les deux hommes ont "procede a
un tour d’horizon de tous les aspects des relations bilaterales et
aborde des sujets regionaux et internationaux d’interet commun, ainsi
que le processus d’integration europeenne", souligne un communique
commun des deux ministères.
Selon nos informations, la question armenienne a bien ete abordee.
Michael Ambuhl a rappele une nouvelle fois que, contrairement au
National, le Conseil federal ne reconnaît pas le "genocide" et reste
d’avis qu’il appartient aux historiens de faire la lumière sur la
nature des evenements de 1915. Et que, s’agissant des poursuites
penales contre deux intellectuels turcs pour negationnisme, la Suisse
connaît une stricte separation des pouvoirs. Mais le communique
prefère souligner que les deux parties ont une volonte commune
"d’approfondir et diversifier leur dialogue et d’intensifier la
cooperation bilaterale".
Voila un ton pacificateur qui tranche avec celui d’autres communiques
divulgues ces derniers mois. En automne 2003, les autorites turques
decident d’annuler le voyage de Micheline Calmy-Rey, furieuses que
le Grand Conseil vaudois ait accepte, le 23 septembre, un postulat
reconnaissant le genocide armenien. Peu de temps après, en decembre
2003, c’est le Conseil national qui reconnaît le genocide. Ce qui ne
contribue pas a apaiser les tensions. Micheline Calmy-Rey n’effectuera
finalement son voyage turc qu’en mars 2005. Son homologue Abdullah
Gul se montre alors relativement ouvert: il va jusqu’a dire etre
pret a mettre sur pied une commission independante d’experts "pour
elucider les evenements de 1915".
La detente sera de courte duree. Un nouvel accroc survient en
mai 2005: l’enquete ouverte par un procureur de Winterthour contre
l’historien Yusuf Halacoglu, qui a publiquement minimise le genocide
sur territoire suisse, irrite fortement Ankara. Trois mois plus tard,
le nationaliste de gauche Dogu Perincek est a son tour poursuivi
pour avoir une nouvelle fois qualifie le genocide de "mensonge des
imperialistes". Cette fois, c’est Joseph Deiss, alors en charge du
Departement federal de l’economie, qui fait les frais de la colère
turque: sa visite est annulee. Les tentatives diplomatiques menees
a Berne et a Ankara pour tenter de calmer le jeu n’y auront rien fait.
Nouvel eclat en avril 2006: le Ministère de la defense turc exclut
sans explications l’avionneur Pilatus base a Stans d’un appel d’offres
pour de nouveaux avions d’entraînement. A Berne, personne ne veut
faire de lien avec la question armenienne. Mais des fonctionnaires
turcs se chargeront de le faire via des medias locaux.
Autre point de friction entre Berne et Ankara, celui touchant la
minorite kurde. Ankara deplore que la Suisse ne reconnaisse pas,
comme le font les Etats-Unis et l’UE, le Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK, rebaptise Kongra-Gel) comme entite terroriste. Voila
encore un point que Cemil Cicek pourrait etre tente d’aborder avec
Christoph Blocher. Et sur lequel le ministre UDC se contentera de
rappeler poliment la position officielle du Conseil federal.
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