ASSEZ DE LOIS MEMORIELLES
Auteur: Lazar Philippe
Liberation , France
18 octobre 2006
L’article "crime contre l’humanite" pourrait englober nombre
d’exactions.
A peine apaisees, les passions legitimement suscitees par la
promulgation de la loi du 23 fevrier 2005 "portant reconnaissance de
la Nation et contribution nationale en faveur des Francais rapatries"
et après le piteux retrait de son article sur l’enseignement des
bienfaits de la colonisation, voici que le Parlement en rajoute en
votant une loi reprimant la negation du genocide armenien de 1915. Et
voila le Premier ministre, qui n’en est pas a une approximation près,
declarant depuis les Antilles, qu’"il n’appartient pas au Parlement
d’ecrire l’Histoire", oubliant que c’est en votant la loi du 29 janvier
2001, "relative a la reconnaissance du genocide armenien de 1915",
que le Parlement l’a fait (puisque son article unique disposait que
"la France reconnaît publiquement le genocide armenien de 1915") :
la nouvelle loi ne fait que tirer les consequences penales d’un refus
de se soumettre a la loi du 29 janvier.
Doit-on accepter, dans une democratie, une totale liberte d’expression
des citoyens ? Il existe au moins deux lois qui restreignent cette
liberte : celle qui permet de poursuivre l’expression de propos
consideres comme "une incitation a la haine raciale" et la fameuse loi
du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot, "tendant a reprimer tout acte
raciste, antisemite ou xenophobe". Bien qu’elle ait essentiellement
ete utilisee contre les negationnistes du genocide des Juifs, cette
loi ne concerne pas, formellement, que ces derniers. Mais la portee
de la loi Gayssot reste neanmoins limitee aux seuls crimes relatifs
a la Deuxième Guerre mondiale.
De tels crimes sont, on le sait, imprescriptibles. C’est evidemment
a leur propos que se pose de facon la plus aiguë la question de la
necessite ou non de punir leur negation. Si l’on renonce a reprimer
ce genre de declarations, il n’y a pas lieu d’aller plus loin, si ce
n’est de demander l’abrogation de la loi Gayssot (et evidemment de la
nouvelle loi que vient de voter l’Assemblee). Faisons l’hypothèse qu’on
ne retienne pas cette forme extreme de renonciation a poursuivre. Deux
questions se posent alors de facon imperieuse, qu’il faut examiner
d’un point de vue politique et technique :
Y a-t-il lieu de traiter de facon differente la negation des divers
crimes contre l’humanite ?
Comment identifier les "crimes contre l’humanite" ?
La reponse la plus equitable a la première question ne serait-elle pas
de lever la restriction de l’application de la loi Gayssot aux seuls
crimes commis avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Et il
suffirait, pour repondre a la seconde, de ne pas faire mine d’ignorer
– etrange occultation memorielle s’il en fut ! – qu’en droit francais
ces crimes sont parfaitement definis puisque l’article 212-1 du code
penal dispose que "les crimes contre l’humanite (la deportation,
la reduction en esclavage ou la pratique massive et systematique
d’executions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur
disparition, de la torture ou d’actes inhumains inspires par des
motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organises
en execution d’un plan concerte a l’encontre d’un groupe de population
civile) sont punis de la reclusion criminelle a perpetuite".
Resterait dès lors une seule question, incontestablement difficile :
comment passer du constat d’un crime specifique a la reconnaissance
de son appartenance formelle a la liste ci-dessus rappelee ? Il
faut revenir, la, au rôle, conteste et pourtant irremplacable, du
Parlement. Du Parlement ? Oui, bien sûr, de la meme facon que c’est
le Parlement qui vote les lois de bioethique, en tant que representant
legitime du peuple francais, sans qu’on l’accuse pour autant d’"ecrire
la science" en lieu et place des scientifiques.
L’exemple de l’adoption – laborieuse mais en fin de compte souvent
largement consensuelle – des lois de bioethique et de leur evolution au
cours du temps devrait nous ouvrir une piste de reflexion permettant
de depasser les aleas des manifestations les plus recentes des elus
de la Nation en matière d’interference avec l’Histoire.
Pourquoi ne pas constituer, de facon analogue, une instance
consultative nationale chargee, non point de dire le vrai et le
faux, mais d’argumenter serieusement et avec une forte competence
scientifique (elle devrait evidemment comprendre une majorite
d’historiens) la legitimite de reconnaître qu’un fait historique
relève, ou non, de la liste ci-dessus rappelee ? Une telle instance
– disons un "comite consultatif national d’ethique en histoire" –
pourrait etre saisie de questions de cette nature par les pouvoirs
publics ou, sous certaines conditions, par tel ou tel groupe social.
Elle aurait pour mission non point de "conclure" mais de conseiller.
Et c’est a partir de cette analyse que le Parlement serait, le cas
echeant, conduit a ajouter, ou non, un fait historique a la liste des
crimes identifies. Ce sont donc bien les historiens qui ecriraient
l’histoire, et c’est sur la base de leurs conseils, officiellement
sollicites, que nos representants legitimes seraient amenes a decider
en notre nom que tel ou tel crime est d’une ampleur et d’une gravite
telle qu’il relève effectivement de cette qualification, avec toutes
ses consequences – desormais unifiees – en matière repressive.
Ne serait-ce pas la une facon d’echapper a l’engrenage qui nous menace
d’une serie de plus en plus fournie de lois specifiques renforcant,
toutes, une navrante concurrence des memoires de la souffrance des
peuples ?
Philippe Lazar president du cercle Gaston-Cremieux, cercle juif laïque
et diasporique
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