LE CHANT DE RUBEN MELIK
Nicolas Devers-Dreyfus
L’Humanite, France
30 novembre 2006
Sous les ors des salons de l’Hôtel de Ville, Paris rendait recemment
hommage a Ruben Melik, poète et resistant. Ruben, dont Joë Bousquet
soulignait dès 1946 qu’il " reussit la grande strophe en alexandrins
sans epouser les rythmes qui nous ont lasses d’elle ", entoure de
ses deux filles, de sa famille et de nombre de ses amis en poesie,
en militance (*), recevait la medaille de vermeil de la Ville de
Paris des mains de Nicole Borvo, conseillère de Paris, senatrice, et
de Jean Vuillermoz, president du groupe communiste au Conseil de Paris.
La ceremonie fut emouvante, simple et fraternelle. Elle avait lieu,
heureuse coïncidence, le lendemain de son quatre-vingt-cinquième
anniversaire. Les orateurs, et notamment Michel Kachkachian, dirigeant
des Armeniens progressistes, celebrèrent le resistant parisien, elève
de Jacques Decour au lycee Rollin, entre dans la lutte patriotique,
baptise du pseudo de Musset par Louise Aslanian, du groupe Manouchian,
resistante intrepide morte en deportation.
Ruben Melik, aujourd’hui dernier survivant du Comite de liberation du
18e arrondissement de la capitale ; Ruben, qui joua un rôle eminent a
la direction de la Jeunesse armenienne unifiee ; Ruben, jeune dirigeant
communiste impregne de la dimension profondement humaniste de l’Eglise
armenienne, la plus ancienne Eglise chretienne du monde, comme il
se plut a le souligner dans son propos conclusif, Eglise dont les
dignitaires ont tenu a participer par leur presence a l’hommage rendu.
Retenons, parmi les paroles enoncees, le message de Pierre Gamarra,
vieil ami du temps des Editeurs francais reunis : " Ta poesie est
de celle qui parle et qui chante ", et le beau discours de Charles
Dobzynski, qui sut exprimer la dualite du poète, tout a la fois enfant
d’une ville et d’un peuple deracine : Ruben Melik, " patriarche et
enfant, parce que, l’âge venu, on regarde sa vie depuis le sommet
atteint " ; enfant enracine dans la ville où il est ne et dont il "
a participe aux rangs souterrains de la Resistance ", mais " enfant
inseparablement d’un peuple d’exiles ", " heritier d’une memoire
armenienne dont il n’a jamais cesse d’etre l’intercesseur ".
Ainsi dans le Veilleur de pierre : Rouben je viens, mon nom le dit,
des autres zones, Je viens de l’âge haut et clair, Dans la bouche le
goût des citrons et des chairs Que brûlèrent les amazones.
Qui, mieux que Charles Dobzynski, poète editeur de l’Anthologie
de la poesie yiddish, pouvait illustrer la complexite d’une
identite partagee, la passion et le tourment de Ruben, concepteur
de l’Anthologie armenienne, temoignant d une commune volonte
d’immortaliser le tresor poetique de deux peuples victimes du
genocide ?
Fort heureusement, le sentiment tragique qui habite l’oeuvre de
Ruben Melik ne resume pas son chant. Comme l’avait percu Hubert
Juin en 1976 dans le Magazine litteraire, " Les mots viennent, ici
dans les strophes douces-amères, mais ouvertes, prometteuses, d’un
avenir temoignant pour un passe qui est a hauteur d’hommes, et de
mains d’hommes, s’inscrire dans une justesse musicale parfaite… "
Celebrant le poète, Paris se souvient de ce qu’il doit dans les luttes
comme dans les lettres, a ses enfants venus d’Armenie.
(*) Parmi les participants, Guy Ducolone, Leo Figuères, Jean Magniadas,
les amis poètes Marie-Claire Bancquart et Jacques Gaucheron, Arsène
Tchakarian et Henri Karayan, anciens du groupe Manouchian, de nombreux
animateurs-trices des associations armeniennes.
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