VOYAGE EN ARMENIE
par Maurice Ulrich
L’Humanite, France
12 decembre 2006
Exposition . Avec plus de trois cents manifestations, l’Annee de
l’Armenie en France invite a la decouverte d’une histoire trois fois
millenaire et de l’âme d’un peuple.
Le sommet du mont Ararat, a 5 165 mètres, disparaît dans les nuages.
Pas moyen de verifier si l’on apercoit un bout de l’arche de Noë
qui se serait echouee dessus. Au musee des Beaux-arts d’Erevan, un
artiste du XIXe siècle a bien peint, en revanche, la caravane d’animaux
descendant après le Deluge dans la vaste plaine qui s’etend au pied
du mont. Aujourd’hui deserte ou presque, elle est jalonnee de miradors.
Ils sont occupes pour l’essentiel par des soldats russes de la CEI,
la Communaute des Etats independants. De l’ancienne Union sovietique,
la CEI semble avoir garde ici le sens de ses interets geopolitiques.
De l’autre côte de la frontière, c’est la Turquie, et sur les
flancs de l’Ararat, en territoire turc, sont installees deux bases
de l’OTAN. L’Armenie, resume-t-on a l’ambassade de France est "
un territoire enclave en milieu hostile ". D’un côte, la Turquie,
de l’autre, l’Iran, pas très loin le gazoduc, au-dessus la Georgie
et la Russie sans omettre l’Azerbaïdjan avec lequel la guerre est
toujours larvee autour du territoire dispute du Haut-Kharabakh. Ceci
expliquant cela, l’ambassade americaine a Erevan, dans un pays de moins
de trois millions d’habitants, est l’une des plus importantes du monde,
sur plusieurs dizaines d’hectares et ne cesse de s’agrandir. Elle
anime ici, avec des millions de dollars, une association " pour la
promotion de la culture " dont l’intitule fait sourire.
Un pays reste chretien Juche sur son eperon rocheux, le monastère de
Khor Virap est la vedette des cartes postales, avec en toile de fond
les neiges eternelles du geant. C’est ici que fut emprisonne, dans une
profonde fosse a laquelle on accède desormais par une echelle de fer,
Gregoire l’Illuminateur. Au tout debut du IVe siècle après J.-C., il
aurait converti au christianisme le roi Tiridate IV qui aurait, du meme
coup, retrouve son apparence humaine après avoir ete malencontreusement
change en sanglier. L’Armenie, depuis, est restee chretienne, malgre
les differentes invasions et occupations qui se sont succede sur ses
terres et, au siècle dernier, envers et contre le pouvoir sovietique.
L’eglise armenienne est autocephale. C’est-a-dire qu’elle a
son propre pape, le Catholicos et son siège, le grand monastère
d’Echtmiadzine. Avec 9 diocèses en Armenie 31 diocèses dans le monde,
elle rayonne toujours dans la diaspora armenienne dispersee sur la
planète. Peut-etre quatre millions de personnes. L’exil pour beaucoup
date des annees qui ont suivi le genocide de 1915. Le massacre par
les Turcs d’un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants,
par le meurtre de masse, la faim, l’epuisement. À Erevan le grand
memorial, depouille, entretient une flamme eternelle, entouree de
roses fraîchement coupees et toujours renouvelees. Mais l’exil est
aussi plus recent. Depuis la chute de l’URSS, plus de sept cent
mille personnes ont emigre. En retour, il est vrai, cette diaspora
aide le pays a vivre. Ses envois d’argent representent 23 % de son
PIB. C’est enorme dans cette terre sans ressources naturelles et où
45 % de l’economie est grise, c’est-a-dire parallèle.
L’Armenie a souffert et souffre encore. Après le terrible tremblement
de terre de 1988, contraignant la seule centrale nucleaire a la
fermeture, ses habitants ont vecu plusieurs annees sans chauffage
quand la temperature en hiver descend a moins vingt degres. Les
usines de l’ère sovietique sont fermees, les quartiers jadis ouvriers
sont dans un delabrement total, mais sur la route de l’aeroport les
etablissements de jeu aux neons clinquants se comptent par dizaines.
À Erevan pourtant, comme un pari sur l’avenir, autour de la très
belle place centrale de la Republique, les chantiers de grands
immeubles neufs se comptent par dizaines. Ils jouxtent cependant
des bidonvilles et on ne sait pas vraiment sur quelles prospectives
economiques ces constructions se fondent, quand bien meme on parle
d’un taux de croissance de près de 13 %.
Des grandes figures modernes La terre armenienne, 30 000 kilomètres
carres, s’est reduite au fil des siècles comme peau de chagrin mais la
memoire y reste vive d’un grand pays, d’un grand peuple, d’une grande
histoire a la croisee des civilisations. Les monastères aux belles
architectures, construits quand la France etait encore de torchis, en
temoignent. À Gheguard ou les grandes salles de prière ont ete creusees
dans le roc, le lion et la lionne sculptes au XIIIe siècle laissent
pantois. Au musee des Beaux-Arts d’Erevan on decouvre, de salle en
salle, les splendeurs des grandes fresques comme la richesse de cette
histoire trois fois millenaire. Le musee du Matenadaran expose, quant a
lui, une partie de ses 17 000 manuscrits dont certains concurrencèrent,
pendant près de deux siècles, l’imprimerie. Le musee Martiros-Sarian
fait decouvrir la grande figure de la peinture armenienne moderne,
celle du XXe siècle, totalement liee aux avant-gardes fauvistes ou
expressionnistes et tout a la fois totalement originale.
L’Armenie a souffert mais n’est pas contrition et nostalgie. Les
Armeniens de l’exterieur, s’ils gardent au coeur le pays ne sont jamais
restes en marge. La France peut se souvenir de Missak Manouchian et de
l’Affiche rouge, mais c’est aussi le nom très connu d’un industriel
et les Armeniens de France se nomment Aznavour, ou l’amoureux de
Marseille Robert Guediguian. Les grandes figures modernes de leur
terre natale sont aussi bien le compositeur Katchatourian que les
cineastes majeurs que sont Paradjanov ou Atom Egoyan. Qui voyage en
Armenie ne trouvera pas de cliches mais l’âme d’un peuple au coeur
de l’histoire humaine dans ses tragedies et sa grandeur. L’Annee de
l’Armenie en France, ouverte par Jacques Chirac a Erevan en septembre
dernier et jusqu’au mois de juillet, avec 350 manifestations, est une
invitation a cette decouverte. Prochain rendez-vous dès le vendredi
15 decembre avec une exposition a Paris a la Conciergerie sur "
Les douze capitales d’Armenie ".
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