L’ARMENIE ET SES CAPITALES, DU TEMPS DE LEUR GLOIRE
Par Anne-Marie Romero
Le Figaro, France
25 decembre 2006
LORSQUE les Armeniens racontent leur histoire, ils remontent loin,
très loin, jusqu’a l’Ourartou, cette nation mentionnee dans la
Bible, où l’Arche de Noe s’arreta sur le mont Ararat, aujourd’hui
situe derrière la frontière turque. Ils remontent jusqu’aux temps
où l’Armenie etait dix fois plus grande que ne l’est aujourd’hui
la petite republique caucasienne. C’est pourquoi les magnifiques
photographies de Zaven Sargsian nous entraînent au-dela des frontières
actuelles, en Turquie, en Azerbaïdjan et a Sis, en Cilicie (petit
Etat chretien dont le dernier roi fut un croise, Leon de Lusignan),
qui fut la dernière capitale royale d’Armenie, hors d’Armenie. " Le
point commun entre toutes les premières capitales de ce qui etait
alors un immense Etat, ce sont les enormes forteresses, les nids
d’aigle que les rois de l’Antiquite ont fait construire ", explique
Sylvie Clavel, commissaire de l’exposition.
C’est le cas a Van (aujourd’hui en Turquie), au IX e siècle avant
notre ère, a Armavir et a Ervandachat, situees sur la frontière
actuelle. Si Van, redevenue capitale au X e siècle, a conserve une
citadelle impressionnante bardee de plusieurs rangees de courtines
et de tours, les deux autres sont en ruines, bastions fondus comme
des blocs de savon. D’Artachat, qui marque le passage a notre ère,
et de Tigranakert, qui fut sa rivale, fondee par le grand roi Tigrane
au bord du Tigre, l’Armenie hellenisee n’a rien conserve des palais
somptueux, entoures de murailles et s’etalant sur des centaines
d’hectares. L’oubli est aussi retombe sur Dvin, Bagaran, rasee par
Tamerlan, Chirakavan, detruite volontairement au XX e siècle, et Kars,
où seule demeurent l’eglise des Saints-Apôtres et une formidable
muraille au sommet d’un pic rocheux. Car meme les villes d’avant la
christianisation ont ete reoccupees et conservent toutes les eglises et
monastères fondes par les rois. Tous temoignent de l’evolution de l’art
religieux, des fresques polychromes de l’epoque paleochretienne au
denuement actuel des sanctuaires, où les " khatchkars ", ces crucifix
sculptes sans christ, forment l’unique decor. Vous en verrez trois,
magnifiques dentelles de pierre, a la Conciergerie. Ainsi en est-il
de la cathedrale d’Edchmiadzine, aujourd’hui siège du Catholicos
d’Armenie, vestige du temps où Vagharchapat, a un quart d’heure
d’Erevan, en etait la capitale (163-428). Patrimoine en ruine Mais
c’est Ani (capitale de 961 a 1045), la ville " aux mille eglises ",
qui est la plus chère au coeur des Armeniens. Situee desormais en
territoire turc, elle a conserve une cathedrale et sept eglises ou
jamatouns, des edifices mi-civils, mi-religieux situes a l’exterieur
des sanctuaires. Helas ! tout ce patrimoine est en ruine. Eglises
circulaires decorees de fresques, aux facades ciselees de decors
animaliers, que les Turcs abandonnent aux injures du temps. Reste
Erevan, capitale depuis 1918, l’ancienne Erebouni du royaume
d’Ourartou, qui peut se targuer de posseder encore sa plaque de
fondation ecrite en cuneiforme. La ville actuelle est le resultat
d’un plan d’urbanisme elabore par l’architecte Alexander Tamanian,
en 1924. Un plan circulaire representatif de l’urbanisme sovietique
dont il n’a pourtant pas la lourdeur. Les très belles photographies de
Sargsian montrent une cite agreable, aeree, verte, qui doit en effet
beaucoup a l’emploi de la pierre, le tuf aux degrades de couleurs
allant du violet a l’orange. Meme les monuments les plus emblematiques
du communisme, comme le Monument a la mère patrie ou le Memorial du
genocide, conservent une rondeur, une elegance relativement discrète
qui montrent a quel point ce petit pays a su rester lui-meme a travers
toutes les epreuves de l’histoire.
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