Ouest-France, France
10 janvier 2007 mercredi
Bretagne Edition
Neuf ans loin de l’Arménie, sans papiers
Pourquoi Brest ? Ils ne savent pas vraiment. Ils avaient choisi la
France. «Le camion nous a déposés là», lche Hamlet Ashkhbabyan,
laconique. En revanche, il se souvient que cela lui a coûté 5 000
dollars pour voyager dans une petite pièce aménagée au milieu de la
semi-remorque, avec «des chaises et des matelas». C’était il y a cinq
ans. Mais lui, sa femme Vardui, ses fils Narek (17 ans) et Suren (20
ans) n’ont pas revu l’Arménie depuis neuf ans !
La petite Ermonia, 2 ans, est née à Brest. «Non, je n’ai plus le
sourire», reconnaît Hamlet devant le photographe un rien provocateur.
«Je m’énerve vite. Je ne fais rien de mes journées à part regarder la
télé. Si j’avais des papiers, je pourrais travailler.» Alors, il ne
vaut mieux pas lui demander s’il est venu pour améliorer son niveau
de vie… Au pays, lui, chauffeur routier, et sa femme, enseignante
biologiste, avaient deux salaires, une maison, des vignes…
En 2006, ils ont vécu à cinq avec 290 par mois dans une maison
octroyée par les services sociaux, au beau milieu des enseignes
lumineuses et du symbole brestois de la grande consommation : la zone
commerciale de Kergaradec ! Depuis novembre, ils perçoivent 570 du
conseil général.
Dans leur ville de Echmiabzin, en Arménie, ils disent être menacés
par le pouvoir d’un potentat local. Dès 1989, Hamlet et son
beau-frère se sont opposés à l’enrôlement de force de jeunes pour la
guerre sur le front de l’Azerbaïdjan. Ils ont dénoncé publiquement la
corruption des gradés militaires. Puis ils ont encaissé les
perquisitions et les détentions pendant lesquelles ils étaient
«battus violemment».
Sa femme a été limogée. Puis son beau-frère assassiné. Il s’est mis
en tête de dénoncer les coupables. Mais l’accusation s’est retournée
contre lui. Pendant sept ans, il dit avoir essuyé insultes et
violences, jusqu’à une menace d’emprisonnement à vie, pour
espionnage. C’était en 1998. Il a décampé avec sa famille. Cap sur
Moscou où ils ont vécu sans papiers jusqu’en 2002. Le racisme
anticaucasien serait devenu dangereux et insupportable.
Depuis cinq ans qu’ils sont en France, les Ashkhbabyan n’ont jamais
opté pour la clandestinité. «Je fais confiance à votre loi», écrivait
Hamlet dans sa demande d’asile. Le ministère des Affaires étrangères
leur a refusé à plusieurs reprises le statut de réfugié politique.
«Sans jamais les recevoir, les écouter», précise Françoise Paugam,
porte-parole du réseau Brest éducation sans frontières, mobilisé
depuis plusieurs mois pour la cause des sans-papiers.
En décembre, ils ont reçu une « invitation » à quitter le territoire,
qui risque d’être bientôt suivie d’un arrêté de reconduite à la
frontière. Un recours est déposé devant le tribunal administratif. En
février, Suren, violoniste primé en Arménie et reconnu par ses pairs
de Brest et Nantes, est admis à passer le concours d’entrée au
conservatoire national de Paris. Mais d’après la préfecture du
Finistère, il y a un couac chez ces gens sans réel revenu, qui vivent
dans l’adversité depuis neuf ans : la «réelle volonté d’intégration
en France n’est pas démontrée».
Sébastien PANOU.
From: Baghdasarian