Photographie: Yousuf Karsh, galerie d’icones

Le Monde, France
14 janvier 2007 dimanche

PHOTOGRAPHIE;
Yousuf Karsh, galerie d’icônes

L’Arménien au style très thétral a immortalisé les célébrités de
l’après-guerre. Une drôle d’exposition, à Paris

L e général de Gaulle, Brigitte Bardot, Mohammed Ali, Andy Warhol…
Le photographe Yousuf Karsh (1908-2002) a figé le portrait des plus
grandes personnalités du XXe siècle, dans le marbre de l’histoire
officielle. En témoignent les quatre-vingts très beaux tirages
d’époque élégamment rassemblés au Centre culturel canadien à Paris
dans le cadre de l’Année de l’Arménie. C’est l’occasion d’une drôle
d’exposition, à la fois captivante et ennuyeuse. Certes, ce défilé de
" pipole " fait l’effet d’une madeleine de Proust. Mais le style
inimitable de Karsh, appliqué de façon identique à tous les modèles,
finit par lasser.

A l’instar de nombreux photographes arméniens, Karsh est né en
Turquie, avant d’être obligé de fuir pour échapper aux persécutions.
En 1924, le jeune homme rejoint l’un de ses oncles, photographe, au
Québec. Commence alors pour lui une carrière nationale de
portraitiste de studio. Jusqu’au jour où sa route croise celle de
Winston Churchill, de passage au Canada, en 1941. Leur rencontre va
changer sa vie. Comprenant que le premier ministre britannique est
alors le seul rempart contre la barbarie nazie, Karsh compose le
portrait ténébreux d’un roc, invincible et intraitable. C’est la
consécration. Séduites par ce style thétral aux éclairages fiévreux,
toutes les célébrités de l’après-guerre vont se bousculer devant son
objectif.

Mais qu’on ne compte pas sur Karsh pour fouiller leur personnalité à
travers ses portraits. Il traque l’icône, photographie les gens pour
ce qu’ils représentent, non pour ce qu’ils sont. Et plaque sur chacun
de ses modèles un seul et unique " emploi ", comme cela se faisait au
thétre dans le temps.

Le souriant Walt Disney est l’ami des enfants. Les hommes politiques,
l’incarnation du pouvoir et de la sagesse. La comédienne Anna
Magnani, une fille du peuple qui a du chien. Difficile de faire plus
réducteur. D’autant que tous posent dans un faux moment d’abandon. En
cela, les photos de Yousuf Karsh, ancrées dans leur époque, peinent à
traverser les ans.

Hélène Simon

" Yousuf Karsh, portraits ".Centre culturel canadien, 5, rue de
Constantine, Paris-7e. Mo Invalides. Tél. : 01-44-43-21-90. Du mardi
au vendredi, de 10 heures à 18 heures ; jeudi jusqu’à 21 heures ;
samedi de 14 heures à 18 heures.Jusqu’au 3 février.