Le Monde, France
21 janvier 2007 dimanche
DISPARITIONS;
Hrant Dink
par Sophie Shihab
Militant arménien et intellectuel turc
DERNIÈRE VICTIME en date de la longue série d’assassinats de
journalistes turcs, Hrant Dink, tué par balles vendredi 19 janvier au
pied du siège de son hebdomadaire à Istanbul, se battait autant pour
la reconnaissance du génocide arménien que pour la démocratie en
général dans son pays, la Turquie.
Né en 1954, dans le sud-est, à Malatya et fut pris, à 7 ans, dans un
internat arménien à Istanbul, où il fera des études universitaires de
biologie et de philosophie. Il milite brièvement au parti communiste,
alors interdit, avant de se dévouer à un orphelinat pour Arméniens –
saisi par l’Etat après 1974, comme bien d’autres fondations de "
minoritaires " en Turquie.
En 1996, il crée un hebdomadaire bilingue – s’ajoutant à deux
quotidiens uniquement rédigés en arménien. Laïc et démocratique,
vendu à 6000 exemplaires, Agos (fertilité, en arménien) veut
revivifier une communauté en déclin de 50.000 personnes, sous forte
emprise de son Eglise et conspuée par la propagande après les
attentats de l’Asala.
Hrant Dink dénonce ouvertement le génocide arménien, s’attirant des
poursuites en justice à répétition. Et participe aux combats
démocratiques du pays, y compris sur la question kurde. Cela l’oppose
aux diasporas arméniennes, promptes à lier la " modération " des
Arméniens d’Istanbul à leur situation " d’otages ". Alors que ce
double engagement ne fait qu’attiser la haine que lui vouent les
nationalistes turcs. Elle lui sera fatale.