Le Temps, Suisse
22 janvier 2007
"Nous sommes tous des Armeniens";
TURQUIE. La presse turque condamne l’assassinat de Hrant Dink, dont
le meurtrier a ete arrete.
L’arrestation a ete rapide. Trente-deux heures après l’assassinat de
Hrant Dink, journaliste d’origine armenienne, la police turque a
interpelle samedi soir un jeune homme de 17ans, sans emploi,
originaire de Trabzon – la où il y a un an a ete assassine un pretre
catholique – en possession de l’arme du crime. Denonce par son père,
il aurait avoue dès le premier interrogatoire et declare ne pas
regretter son geste. Un geste motive par des propos attribues a Hrant
Dink, et qualifiant le sang turc d’impur.
Au patriarcat armenien, la nouvelle de cette arrestation n’a pas
attenue la peine liee au meurtre de Hrant Dink. "Cette arrestation
n’est pas importante", estime Artin Yaman, 57ans. "Ce jeune n’a pas
pu agir seul. Ceux qui se cachent derrière ce meurtre n’ont pas
encore ete arretes. Le seront-ils jamais? Je ne le crois pas.
L’essentiel n’est pas d’arreter les coupables mais de changer les
mentalites." Groupes ultranationalistes, influence islamiste, liens
politico-mafieux, ce cordonnier a la retraite se fait peu d’illusions
sur la volonte de la justice turque a demasquer les "forces" qui se
cacheraient derrière cet assassinat "politique".
La seule chose positive constatee par Artin Yaman est le soutien,
quasi unanime et sans precedent, de la population turque, des medias
et des hommes politiques a leurs "frères" armeniens. Le slogan "Nous
sommes tous Armeniens" est repris en boucle par la foule qui continue
de venir deposer des fleurs devant les locaux d’Agos. "J’ai grandi
avec des Armeniens mais je me demande ce que nous allons pouvoir
laisser a nos enfants. Aujourd’hui, j’ai mal et j’ai honte", confesse
une jeune femme venue se recueillir.
Dans ce contexte de quasi-union sacree, les prises de position de
Hrant Dink sur le genocide ne sont pas abordees, laissant planer un
doute sur la solidite de cet unanimisme. "Qui vivra verra!" soupire
l’un des Armeniens charges de l’accueil des paroissiens au
patriarcat. Artin Yaman, lui, n’y croit pas. "Nous allons continuer a
dire bonjour a nos voisins musulmans mais, encore plus qu’avant, nous
allons nous taire. En chacun d’entre nous se trouve un Hrant Dink,
mais un Hrant Dink qui garde ses idees pour lui."
Le decouragement se ressent aussi auprès d’Etyen Mahcupyan, ami de
Hrant Dink et comme lui journaliste engage d’origine armenienne. "Si
dans ce pays l’identite de la majorite tend vers la violence, si les
depositaires de cette terre ne veulent meme pas faire vivre les
colombes de leur jardin, alors nous avons affaire a une maladie. La
Turquie est malade", ecrivait-il hier dans le journal Zaman.
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