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Dink, homme de paix

Le Monde, France
26 janvier 2007 vendredi

Dink, homme de paix

Au-delà du journaliste assassiné, c’est le travail de mémoire et de
réconciliation entre Turcs et Arméniens qui est menacé

A travers les colonnes de son journal, Agos, rédigé en turc et en
arménien et publié depuis plus de dix ans à Istanbul, le journaliste
Hrant Dink, assassiné le 19 janvier, était l’homme qui avait enfin
sorti la voix arménienne de son silence. Il la faisait entendre bien
au-delà des frontières communautaires. Serein, il injectait avec
constance de la mémoire là où n’existait que du déni, fissurant
chaque jour un peu plus le mur froid et aveugle de l’amnésie
collective. Pour lui, la reconnaissance du génocide par l’Etat était
sans doute importante, mais moins essentielle que celle qui devait
être faite, après un long et douloureux travail de mémoire, par la
société civile. En cela il nous dépassait tous : il se montrait
visionnaire. Et c’est pour cette raison qu’il a été assassiné.

Devenu cette conscience arménienne publique en Turquie, il avait
réussi à fédérer autour de lui des intellectuels turcs et arméniens,
à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, qui tous se
reconnaissaient dans ce combat. Il était le btisseur de ponts entre
deux nations jusqu’à présent incapables de se comprendre en dehors
des catégories héritées de 1915.

Il était aussi une conscience, un homme généreux, un homme de coeur.
Chez lui l’inconnu comme l’ami proche était sur le même pied
d’égalité, il les accueillait avec la même fraternité et la même
chaleur. Son hebdomadaire, Agos (" Sillon " en arménien), réunissait
un cercle d’amis venus d’horizons différents et une rédaction où
s’élaborait un nouveau mouvement, de nouvelles idées.

Hrant Dink incarnait à lui seul ce " non-lieu " pour tous ceux qui
cherchaient à se définir dans l’" entre-deux ", à se connaître et à
se reconnaître par des liens d’amitié ou des affinités
intellectuelles qui rejetaient tout enfermement dans une appartenance
nationale, religieuse ou ethnique.

Homme juste et courageux, unique, il n’avait rien d’un marginal dans
son combat pour la liberté d’expression et pour la démocratisation de
la Turquie. Tous les Turcs qui partagent ses idées et son combat
savent qu’aucune nation ne peut se construire sans reconnaître son
passé et qu’aucun projet européen ne peut valoir dans un pays
candidat tant que celui-ci continue de rabattre ses références
historiques et politiques sur le mensonge et le déni. La question du
génocide, pour les Arméniens, n’est autre que le poids d’une mise à
mort collective restée impunie, et pour beaucoup d’entre eux le poids
de l’exil.

Pour l’Etat turc, revenir sur la négation du génocide, c’est
reconnaître non seulement les crimes du passé, mais accepter le passé
commun des Turcs et des Arméniens sur la même terre, une histoire du
pays qui, contrairement à ce qui est écrit dans les manuels
scolaires, ne débute pas en 1923 avec la figure déifiée d’Ataturk. Le
génocide, loin d’être une question secondaire pour la Turquie
candidate, est central pour la démocratisation du pays et son
rapprochement avec l’Europe.

Au cours de ces dernières années, au fur à mesure que les tabous sur
le génocide arménien tombaient, Hrant Dink se retrouvait de plus en
plus souvent propulsé sur le devant la scène publique, se heurtant
sans cesse à la montée de l’ultranationalisme. Poursuivi et condamné
au nom de l’article 301 pour " insulte et avilissement envers
l’identité turque ", il était devenu la cible privilégiée des
agitateurs nationalistes.

Dans son tout dernier éditorial d’Agos, il se décrivait comme " une
colombe effrayée, sur ses gardes, mais comme une colombe (…) libre
". Libre, Hrant l’était. Libre dans ses propos, libre de toute
influence. Il lui arrivait d’irriter les Arméniens eux-mêmes, à
l’occasion notamment de ses prises de position contre la loi votée en
octobre 2006 en France pénalisant la négation du génocide arménien.
L’homme qui a été assassiné luttait pour la liberté d’expression,
pour la reconnaissance du génocide, mais aussi pour la réconciliation
entre Arméniens et Turcs, pour le rapprochement entre l’Europe et la
Turquie.

Hrant Dink est mort au moment même où la question arménienne devenait
centrale pour la démocratisation de la Turquie, au moment où le gel
de l’amnésie collective commençait à fondre et l’histoire à s’écrire
à chaud. Son assassinat met à l’épreuve la conscience turque. En
faute, nous, intellectuels, journalistes, universitaires, engagés,
quelle que soit notre nationalité, dans ce même combat pour une
mémoire retrouvée entre Turcs et Arméniens, car nous n’avons pas su
ou pas pu le protéger, protéger cette voix et cette générosité qui
sans cesse nous servait de rempart. Il était notre muraille,
l’invincible sans cesse attaqué, la réassurance quotidienne qui
poussait chacun de nous, à sa manière, à continuer, à s’exprimer.

Spontanément, à l’annonce de sa mort, de nombreuses personnes, des
anonymes sont sortis dans les rues en Turquie, scandant : " Nous
sommes tous des Arméniens ! Nous sommes tous Hrant Dink ! " Sa voix
avait porté au-delà de son entourage, de son mouvement, touché le
coeur des gens simples, des jeunes, des vieux, des femmes, des
hommes, de grandes villes comme de villes d’Anatolie. " Une part de
nous est morte avec Hrant Dink ", ont écrit plusieurs éditorialistes
turcs. Les Turcs comme les Arméniens portent le deuil de sa mort,
face à leur passé comme face à leur avenir. M. Hrant nous lègue une
dette, celle de continuer en Turquie, mais aussi en Europe, à tisser
les fils de ce dialogue difficile qu’il avait ébauché. Un dialogue
entre Turcs et Arméniens, mais aussi entre Arméniens de la diaspora
et ceux de Turquie.

Un dialogue, enfin, entre tous ceux qui se battent, au-delà de ce qui
était sa lutte quotidienne, pour que toute vérité soit bonne à dire,
pour qu’aucun racisme ne borne les horizons, pour que les minorités
nationales vivent dignement dans des Etats qui les reconnaissent –
débat qui dépasse largement la seule Turquie – pour que la liberté
d’expression, la voix de l’entre-deux, ne disparaisse pas dans le
silence qu’impose la peur et qu’on ne la fasse plus jamais taire par
la menace ou la mort.

Nilufer Göle,Laurence Ritter,

directrice d’études à l’EHESS ; sociologue.

From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress

Emil Lazarian: “I should like to see any power of the world destroy this race, this small tribe of unimportant people, whose wars have all been fought and lost, whose structures have crumbled, literature is unread, music is unheard, and prayers are no more answered. Go ahead, destroy Armenia . See if you can do it. Send them into the desert without bread or water. Burn their homes and churches. Then see if they will not laugh, sing and pray again. For when two of them meet anywhere in the world, see if they will not create a New Armenia.” - WS
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