Le Figaro, France
17 février 2007
Martiros Sarian, musicien des couleurs
La France se devait de rendre hommage au plus grand peintre moderne
de l’Arménie, Martiros Sarian, mort en 1972 à 92 ans, alors qu’il
travaillait sur un dernier tableau, plus abstrait que le reste de son
oeuvre monumentale (5 000 peintures et dessins) : un chien fuyant à
gauche, représentant la nuit, un ange à droite, symbole de lumière,
un homme allongé au milieu dans de larges taches de couleurs vives.
C’était sa vision de la mort, qu’il attendait, serein. C’est sur ce
tableau inachevé que s’ouvre l’exposition du Musée de la Carte à
jouer, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Celui qu’on a surnommé
le « Fauve bleu », résume l’art de l’Arménie à la croisée de
l’Occident, où il prendra à Matisse et aux Fauves les nuances vives
de sa palette, et de l’Orient, dont il traduira le mouvement lent des
femmes et des bêtes dans des paysages écrasés de soleil.
Quelques-unes de ses plus belles toiles ont fait le voyage, des
paysages oniriques où l’Arménie rêvée, avec son mont Ararat,
emblématique et obsessionnel, aujourd’hui turc, domine de ses mauves
et de ses bleus si particuliers des scènes champêtres. Le style léché
de ses grands formats, où l’arbre symbole de vie se décline sous
toutes ses formes jusqu’à prendre les couleurs d’un paon, les
immenses aplats de ses paysages parviennent étonnamment à rendre la
profondeur, la luminosité et l’immensité de la terre arménienne. Mais
Sarian a plusieurs cordes à son arc : portraitiste des grands noms de
son époque, Ilya Ehrenbourg, Charents, Issahakian, Chostakovitch, il
sait aussi rendre d’une plume vive et nerveuse la personnalité de ces
hommes si différents qui ont, comme lui, marqué une époque tragique
pour son pays. « Sarian ou les couleurs de l’Arménie », jusqu’au 31
mars, au Musée de la carte à jouer 16, rue Auguste-Gervais 92130
Issy-les-Moulineaux. Tél. : 01 41 23 83 60.