Le Figaro, France
17 février 2007
Petites nouvelles du monde à Berlin
De notre envoyé spécial à Berlin JEAN-LUC WACHTHAUSEN
LE CINÉMA, miroir du monde, des guerres passées ou présentes, de la
politique ou de l’absence de politique, de la misère et de la
violence, de la vanité et de la folie humaine. Vaste programme pour
un festival comme Berlin, pour cette Berlinale, dont le patron,
Dieter Kosslick, essaie chaque année d’équilibrer la programmation de
centaines de films en accordant par-ci par-là un peu de place à la
légèreté et au glamour en invitant quelques étoiles de Hollywood qui
font encore rêver. Ainsi, la star latina-américaine Jennifer Lopez,
38 ans, a-t-elle fait le voyage à Berlin pour promouvoir un « film
engagé », Les Oubliés de Juarez ( Bordertown ), qu’elle a produit et
dont elle est la tête d’affiche aux côtés de Martin Sheen et Antonio
Banderas. Récompensée par Amnesty International pour son implication
dans la « campagne contre la violence faite aux femmes », Jennifer
Lopez s’est investie à fond dans ce thriller un peu brouillon où elle
joue le rôle d’une journaliste de terrain américaine enquêtant sur le
sort de centaines de femmes mexicaines, originaires de la ville de
Juarez, violées, assassinées et enterrées en plein désert.
Il s’agit d’ouvrières des maquiladoras, ces usines d’assemblage qui
bordent la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Des meurtres
inexpliqués qu’Amnesty évalue à quatre cents et que les autorités
locales et la police ont tendance à minimiser ou à étouffer. « J’ai
été très choquée par l’assassinat d’une jeune fille de 17 ans, à
Juarez, en 2001 , avouait Jennifer Lopez lors de la conférence de
presse donnée en compagnie de l’équipe du film, et de la mère de la
victime, Norma Andrade, qui a fondé une association des mères et des
familles des victimes. Je les soutiens et avec ce film nous avons les
moyens de révéler au monde ce qui se passe à la frontière
américano-mexicaine. Une réalité insoutenable pour la dignité et la
justice humaines. » Génocide arménien Les frères Taviani invoquent
aussi la dignité humaine en évoquant le génocide arménien par les
Turcs dans leur nouveau film, The Lark Farm , creusant la brèche
ouverte par Atom Egoyan avec Ararat . La belle actrice espagnole Paz
Vega prête ses traits à une jeune Arménienne amoureuse d’un officier
turc. Nous sommes en 1915 et sa famille, les Avakian, de riches
propriétaires, ne sentent pas monter le nationalisme turc qui les
conduira à leur massacre. Images terribles de la sauvagerie humaine
et de l’orgueil nationaliste qui, côté turc, continue de nier
l’évidence du génocide. Curieusement, ce film est passé discrètement
à la Berlinale, sans que l’on sache vraiment si c’était le souhait
des frères Taviani ou le souci des organisateurs de ne pas irriter la
puissante communauté turque de Berlin. Parmi les autres temps forts
du festival, deux autres films ont fait impression. Beaufort , une «
histoire de survie » , selon son jeune réalisateur israélien, Joseph
Cedar, qui raconte le retrait des troupes israéliennes au Liban-Sud,
en 2000, du camp retranché de Beaufort, une forteresse du XII e
siècle bombardée par les missiles du Hezbollah. De son côté, l’acteur
américain Steve Buscemi ( Fargo , Reservoir Dogs ) a présenté sa
nouvelle version d’ Interview , le film du cinéaste néerlandais Theo
van Gogh, assassiné par un extrémiste musulman en 2004. Un film de 81
minutes capté par trois caméras digitales et qui confronte un
journaliste ( Buscemi ), ancien correspondant de guerre, à une jeune
vedette de séries (Sonia Miller). Pas de message politique dans
Interview mais un salut au style d’un cinéaste, Theo Van Gogh, dans
le cadre d’un hommage réunissant aujourd’hui deux autres réalisateurs
américains : Stanley Tucci et Bob Balaban. « Van Gogh aimait les
acteurs et j’adorais son style. Je voulais que cela se reconnaisse ,
a expliqué Buscemi. S’il n’avait pas été tué, il aurait fait ces
films lui-même et j’espère que j’aurais eu la chance d’avoir le rôle.
» Remise des prix ce soir.