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Bataille D’Historiens Sur Le Genocide Des Armeniens

BATAILLE D’HISTORIENS SUR LE GENOCIDE DES ARMENIENS

Le Temps, Suisse
7 mars 2007

VAUD. Accuse de negationnisme, le politicien turc Dogu Perincek se
defend avec les thèses en vigueur dans son pays. Temoins a l’appui.

Les debats ont ete calmes, parfois meme un brin soporifiques. Mais
c’est de passion qu’il etait question devant le Tribunal de police
de Lausanne charge de juger l’homme politique turc Dogu Perincek,
accuse de negation du genocide des Armeniens.

Passion des dizaines de Turcs qui se sont presses tôt le matin sur
les marches du tribunal dans l’espoir de trouver une place dans la
salle. Ou de ceux qui etaient venus les attendre a la pause de midi,
enveloppes dans les echarpes rouges et les drapeaux qu’ils avaient
arbores a la place de la Riponne (lire ci-contre). Cette passion,
l’accuse la resume ainsi: "L’accusation de genocide est une insulte
pour mon honneur et mon pays."

Deux discours

L’autre passion s’etait faite plus discrète mais elle habitait aussi
les bancs du public. C’est celle de membres de la diaspora armenienne
en Suisse. Pour eux, la reconnaissance de la memoire du genocide est
aussi vitale qu’elle est insupportable pour la partie adverse. Mais
ils laissent faire la loi, qui desormais semble de leur côte.

D’autant plus peut-etre qu’au fond, ils sont quelques-uns a souhaiter
autant la reconciliation que la revanche. D’un camp a l’autre,
d’ailleurs, on se connaît, on se salue meme parfois.

L’accuse se voit reprocher deux discours, tenus l’un a Lausanne le 7
mai 2005 et l’autre a Opfikon (ZH) le 25 mai. Tous deux s’inscrivaient
dans le cadre des commemorations du Traite de Lausanne par lequel la
communaute internationale a reconnu les frontières que la Turquie avait
reconquises après le demembrement de l’Empire ottoman en 1918. Et ils
s’en prenaient sans nuance au "mensonge international" constitue par
le genocide des Armeniens.

Historien contre historien

Dogu Perincek ne conteste pas la deportation, organisee a
partir d’avril 1915, des Armeniens d’Anatolie vers les deserts de
Mesopotamie. Il ne nie pas davantage que ces derniers soient morts
en masse, de faim ou de maladie ou encore victimes de massacres
deliberes. Mais il ne s’agit pas d’un genocide. C’etait la guerre;
200000 Armeniens s’etaient enrôles dans les troupes russes qui
avancaient alors en Anatolie. De nombreux civils musulmans avaient
ete massacres. C’etait une question de securite et les efforts du
president pour lui faire admettre un autre point de vue ne le font
pas devier d’un pouce.

L’interrogatoire de l’accuse termine, c’est historien contre
historien. Les uns, mal a l’aise d’etre dans un camp devenu dangereux
sur le plan legal, nuancent, relativisent. Les autres prononcent
clairement le mot de genocide. Peu de choses, au fond, les divisent
mais il s’agit de choses essentielles.

Le regard d’abord: peut-on juger avec les instruments juridiques
d’aujourd’hui des evenements qui se sont deroules il y a bientôt un
siècle? Et avec quels instruments? La convention contre le genocide
de 1948, dont la definition, large, est comparee par un temoin a une
boîte de Pandore? La definition plus restreinte donnee a l’article
6 du statut de la Cour penale internationale?

"Des genocides"

Paul Leidinger, professeur a l’Universite de Munster, s’y refuse. A
l’epoque où prend place la deportation des Armeniens, les mouvements
forces de population sont un instrument de la politique. Comme celui
qui a chasse des Circassiens de Russie en Turquie cinquante ans
plus tôt.

Pour Justin MacCarthy, professeur a l’universite de Louisville, si l’on
parle de genocide, il faut en parler au pluriel: a Van et en Cilicie
contre les Turcs, a Trebizonde et a Harput contre les Armeniens.

Mais surtout, font-ils valoir, on n’a pas de preuve d’une volonte
de l’Etat ottoman de liquider la population armenienne. Les fameux
telegrammes du ministre de l’Interieur, Talaat Pacha, produits au
procès de l’assassin de ce dernier a Berlin en 1921? Des faux,
desormais reconnus comme tels. Les attaques de convois? Le fait
d’irreguliers dont beaucoup ont ete immediatement traduits en justice.

Pour la sociologue berlinoise Tessa Hofmann et l’historien francais
Yves Ternon, les choses sont beaucoup plus simples. Le schema
des evenements retrace celui d’autres genocides: designation d’un
groupe comme ennemi interieur, montee de la haine et des violences,
aneantissement, negation. Pour le second, la planification ne fait
pas de doute et peu importent les telegrammes. Les memes evenements se
sont produits, au meme moment, dans des points eloignes de l’Empire. Et
c’est la deportation elle-meme qui a constitue la methode du genocide:
il s’agissait, non de supprimer les Armeniens, mais de les effacer
de la terre où ils vivaient depuis vingt-sept siècles.

Pourquoi les Turcs refusent-ils cette evidence? Parce que l’Etat
kemaliste, qui n’a pas participe au genocide, s’est construit sur le
vide laisse par les Armeniens. Et que cette faute originelle n’a pas
sa place dans une histoire nationale magnifiee.

La penalisation de ce deni est-il de nature a le vaincre ou a
l’aggraver? La question, posee en filigrane par les temoins de
l’accuse, ne figure pas au menu du procès. Les debats reprennent jeudi.

Encadre: Manifestation clairsemee et calme

Environ 200 sympathisants a Lausanne.

Par Nicolas Dufour

La manifestation devait etre sans prise de parole, il y en a eu
quelques-unes. Sans grande agitation. Mardi matin a la Riponne, où
les autorites les avaient cantonnes, quelque 200 partisans de Dogu
Perincek se sont rassembles pour exprimer leur soutien. Et expliquer
aux journalistes le caractère intolerable des pressions exercees sur
la Turquie par les puissances.

Issus d’une foule plutôt âgee, quelques orateurs ont tenu de brefs
discours, avant que l’assemblee n’entonne un chant et ne se prete
aux photos de groupes. Les sympathisants venaient, grâce a six cars,
d’Allemagne, de Belgique ou des Pays-Bas. Quelques-uns se sont ensuite
rendus a Neuchâtel pour suivre des conferences, tandis que vers
midi, environ 150 personnes acclamaient le politicien a sa sortie du
Tribunal. Un deplacement a Montbenon dont les autorites ne voulaient
pas, mais qui s’est deroule dans le calme. Certains participants ne
restaient qu’une journee en Suisse. En baroudeurs de leur cause, ils
annoncaient deja leur participation a de nouveaux rassemblements en
France, lorsque l’Assemblee nationale abordera la question du genocide
des Armeniens.

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Frangulian Shushan:
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