Le Monde, France
7 avril 2007 samedi
Génocide arménien : Ankara menace d’écarter GDF du projet Nabucco
par Guillaume Perrier
En raison de la question arménienne et du débat sur l’adhésion turque
à l’UE, les mises en garde contre la France se mutiplient en Turquie
avant la présidentielle
L’agence anatolienne de presse a annoncé jeudi 5 avril que la
compagnie d’Etat turque de pétrole et de gaz Botas avait suspendu les
négociations avec le groupe français Gaz de France sur sa
participation au projet de gazoduc Nabucco, prévu pour acheminer en
Europe, à l’horizon 2011, le gaz naturel d’Asie centrale via la
Turquie. Selon l’agence, cette décision serait dû à la position de la
France sur le génocide arménien.
Le projet de loi condamnant la négation du génénocide, adopté en
octobre dernier par l’Assemblée nationale mais par encore par le
Sénat, et plus généralement l’hostilité qui s’est manifesté en France
à une adhésion turque à l’Union européenne alimente à Ankara, avant
les élections françaises, un sentiment de défiance. " Nous allons
suspendre le partenariat jusqu’à l’élection présidentielle française,
a déclaré un responsable du ministère turc de l’énergie à Reuters.
Nous prendrons une décision en fonction de la politique suivie après
les élections en France ".
Ni GDF ni Paris n’ont confirmé la suspension des négociations sur le
projet de gazoduc, dont le coût est estimé à 4,6 milliards d’euros.
Celles-ci impliquent, outre Gaz de France, des partenaires de
plusieurs autres pays : l’Autriche, la Roumanie, la Bulgarie et la
Hongrie.
LIENS MILITAIRES SUSPENDUS
La menace sonne comme un avertissement aux hommes politiques
français. Les Turcs ont noté que la candidate socialiste à l’élection
présidentielle, Ségolène Royal, a déclaré récemment soutenir la
nouvelle loi pénalisant la négation du génocide arménien, tout comme
François Hollande, mardi 3 avril, au cours d’une réunion à
Alfortville avec le parti nationaliste arménien Dachnak. Les prises
de position récurrentes de Nicolas Sarkozy ou de François Bayrou
contre l’adhésion de la Turquie à l’UE ne laissent pas présager d’un
avenir plus détendu.
Les pressions n’ont cessé ces derniers mois de monter contre la
France. Depuis le 1er janvier, les liens militaires ont été
suspendus. Des visites réciproques et des autorisations de survol du
territoire pour les appareils français en route vers l’Afghanistan
ont été annulées. Les tracasseries administratives ou douanières se
sont multipliées. " De nombreux hommes d’affaires ou des enseignants
connaissent des difficultés pour obtenir leurs permis de séjour. Les
procédures traînent en longueur ", observe Raphaël Esposito,
directeur de la chambre de commerce franco-turque d’Istanbul.
Plusieurs grandes entreprises françaises ont subi pendant quelques
mois les effets d’une campagne de boycottage lancée en octobre :
Carrefour, Total ou Danone accusant des baisses de leur chiffre
d’affaire allant jusqu’à 10 % ou 15 %. " Ces entreprises semblent
avoir retrouvé un rythme de croisière mais le ressentiment n’est pas
totalement dissipé, constate Raphaël Esposito.
Plus récemment, la menace d’un boycottage a aussi plané sur
Eurocopter ou Areva, candidats à des investissements de taille en
Turquie. Le Crédit agricole, qui était pressenti pour acquérir la
banque Oyak, propriété de la mutuelle de l’Armée turque, s’est
également retrouvé confronté à la question du génocide arménien.
Paradoxalement, les échanges franco-turcs ont pourtant augmenté de 15
% en 2006. Signe que, dès que l’on quitte la sphère publique, les
intérêts commerciaux reprennent le dessus. Cette hausse est
principalement due à d’importants contrats dans l’aéronautique. Autre
exemple, Alstom vient de décrocher, fin mars, un contrat de 323
millions d’euros sur le chantier du Marmaray, un tunnel ferroviaire
sous le Bosphore qui entrera en fonction en 2011. Avec une population
de 74 millions d’habitants et une croissance soutenue, la Turquie est
devenue un marché émergent de premier plan dans de nombreux secteurs
de l’industrie et des services, incontournable pour les grandes
multinationales.